Laurent Belloni

Ce que je panse
(sculptures)

5 novembre au 5 décembre 2009


Laurent Belloni

Né en 1969 à Sevran
Vit et travaille à Cachan
01 46  63  22  42 / 06 31 51 18 91
lo.belloni@cegetel.net
http://belloni.laurent.free.fr

Expositions personnelles
2009Galerie du Haut-Pavé, Paris
Orangerie de Cachan
2007Galerie Julio Gonzalez, Arcueil
2006Galerie Michèle Guérin, Limetz-Villlez, Yvelines
2004Galerie David Hocquet, Charleroi (Belgique ).
2002Galerie Michèle Guérin, Limetz-Villlez, Yvelines
2001Espace J. Prévert, Savigny le Temple
Galerie du théâtre, Cachan
Principales expositions collectives
2009MACparis
Galerie Michèle Guérin, Limetz-Villlez, Yvelines
Salon St’art avec la Galerie Michèle Guerin, Strasbourg
2008« Lille Art Fair» avec la Galerie Michèle Guerin, Lille
2007Biennale de sculptures, Bègles
Salon St’art avec la Galerie Michèle Guerin, Strasbourg
Salon du Collectionneur, parcours sculptures, par Gérard Xuriguera, Grand Palais
Galerie Metanoïa
2006Biennale, «Prise de Terre» 2ème édition, rencontre de 22 artistes. Ferme la basse-cour, Arnouville
Biennale d’art contemporain, Cachan
2005La quinzaine de l’art contemporain du Perche, «8 artistes d’aujourd’hui», Mortagne-au-Perche
Exposition en «La chartreuse», avec le peintre Dominique Masse, Sèvres
MAC 2000, Paris
2004MAC 2000, Paris
«En gare de Chasse», Méréville
«Prise de Terre», rencontre de 12 artistes – la basse-cour - Arnouville
2003Galerie « David Hocquet», Charleroi (Belgique).
Salon Artenimes, Nîmes
Grands et Jeunes d’aujourd’hui, Paris
Galerie Michèle Guérin, «10 ans de la galerie» Limetz-Villlez, Yvelines
2002Salon «St’art», Foire d’art contemporain de Strasbourg avec la galerie Michèle Guerin et la Galleria del Leone.
Participe au prix Marin, parrainé par le sculpteur Louis Derbré
2001Galerie Michèle Guérin, Limetz-Villlez, Yvelines
Salon «Arts Paris» avec la Galleria del Leone, Paris.
2000Salon « Regard », St Gilles Croix de Vie.
MAC 2000, Paris
1999MAC 2000 Paris
Biennale de Cachan, Hôtel de ville de Cachan.
Galerie Yoshii «Sculpture et nature», avenue Matignon, Paris
Galeria del Leone, Venise.
Galerie Nicolas Deman, Paris.
1997L’art en Marche, Hôtel du département de la Vendée, La Roche-sur-Yon, lauréat de ce concours.
Galleria del Leone  à Venise et participe avec celle-ci à SAGA, Paris.
1996Galleria del Leone à Venise et participation avec celle-ci à la foire internationale de Milan.
1995Exposition Rencontre 96, parrainé par le sculpteur Louis Debré à Arcueil.
Symposiums de sculpture
2003Symposium de l’état de Bahrain, rencontre de 15 artistes internationaux ; réalisation d’une sculpture en marbre de 200 x100 x 200 cm.
2001Symposium de Aley, Liban, rencontre de 62 artistes internationaux ; réalisation d’une sculpture en marbre de 200 x100 x 80 cm.
Commandes privées
1998Sculpture monumentale au château de la Ballue, en Ille-et-Vilaine.
1995-96Fondation AZAZEL, Pauligne, dans le Roussillon.

Belloni
Clavicule, 2008
8 x  26 x 5 cm

Belloni
Lutteurs, 2005
20 x 32 x 18 cm

Belloni
Atelier, 2007

Belloni
Tête, 2004
13 x 21 x 14 cm

Belloni
Croissance, 2008
20 x 63 x 12 cm

Belloni
Traîneau, 2009
92 x 320 x 80 cm


Dans son célèbre tableau, L’énigme de Guillaume Tell, Dalí représente le héros helvète agenouillé, mi-nu, devant son propre monument funéraire, affublé d’une casquette dont la visière démesurée est soutenue par une fourche en bois. Sa fesse droite est dotée d’un long appendice phallique, lui aussi maintenu à l’horizontale par une fourche en bois. De ce tableau très dense, le peintre à donné lui-même une lecture psychanalytique : « L’énigme de Guillaume Tell est peut-être l’un des tableaux qui décrit l’un des moments les plus dangereux de ma vie. Guillaume Tell, c’est mon père ; moi, le petit enfant qu’il a dans ses bras et qui, au lieu d’une pomme, porte une côtelette crue sur la tête. Cela veut dire que Guillaume Tell a des intentions cannibales : il veut me manger. Et puis il faut aussi que les gens remarquent à côté du pied de Guillaume Tell, une toute petite noix, qui contient une sorte de berceau et ce berceau contient un tout petit enfant qui est l’image de ma femme Gala. Et elle est tout le temps menacée par ce pied, car si ce pied bouge un tout petit peu, il peut écraser la noix, le berceau, et donc détruire aussi ma femme. Sigmund Freud a défini le héros comme celui qui se révolte contre l’autorité paternelle et finit par la vaincre. » Des psychanalystes se sont longuement penchés sur ce tableau et certains y ont décrypté une forme d’exorcisation de pulsions incestueuses : un « incesticide1 », pourrait-on dire…
Les œuvres les plus récentes de Laurent Belloni me font irrésistiblement penser à cette œuvre de l’extravagant Catalan. Non pas pour les formes molles qui s’y déploient, mais pour sa façon d’y développer des excroissances à l’aspect cireux. La comparaison s’arrête là car, chez Belloni, les structures sont fermes et charpentées, à la façon d’ossements solides et non de chairs flasques requérant un support extérieur pour assurer leur maintien. Sa Demi-cage, 2009, par exemple, assemble bois, métal et cire dans un volume qui évoque la moitié d’un train de côtes d’un animal de boucherie, dégagé de toutes ses chairs. Chez Belloni, le cannibalisme est donc, en quelque sorte, hors-champ. Quand l’artiste intervient, les mangeurs de chairs – humains, mammifères, insectes ou vers – ont déjà fait leur travail et ne nous laissent que les restes de leur action. Le drame est passé. Sa tension tombée.
Belloni s’intéresse aux « reliques », au sens étymologique de ce terme – ce qui reste –, d’une action que l’on peut imaginer, à notre guise, sanglante ou paisible, accidentelle ou naturelle, rapide ou lente. Il nous place dans le rôle du paléontologue amené à se prononcer sur la structure d’une espèce disparue à partir d’un de ses fragments fossilisés. Nouveaux Cuvier, nous devons nous interroger sur la nature de ces reliques pour tenter de reconstruire les propriétés, l’aspect de son propriétaire originel… Pourtant, malgré la forme animale, la réponse au premier degré est évidente : ce sont des branchages débarrassés de leurs écorces, parfois retaillés ou complétés par des éléments exogènes, partiellement enrobés dans de la cire aux couleurs de chair ou d’ossements. Le végétal est énoncé, mais l’animal est suggéré. Nous sommes dans le domaine d’une certaine forme de transsubstantiation dévoyée : du végétal vivant vers l’animal mort… Le travail de Belloni se situe ainsi à rebours de la liturgie chrétienne qui fait de l’Eucharistie la transformation d’un végétal mort en un corps vivant…
Une des récentes séries de travaux de Belloni, dans cette technique recourant au bois et à la cire, est intitulée Clavicules. Inutile d’y chercher un rapport avec l’anatomie humaine. Leur forme n’a rien à voir avec le S allongé de l’os du thorax antérieur ainsi nommé. Tout au plus, pourrait-on y voir une parenté avec la furcula des oiseaux, fusion des deux clavicules, que nos amis ailés partagent avec les dinosaures, leurs ancêtres. Il faut plutôt chercher l’origine de ces œuvres dans l’étymologie du mot clavicule : petite clé. Les pièces de Belloni délimitent un espace virtuel qu’elles verrouillent, clavettent, au point de suggérer leur pétrification. Présentées en groupes, les Clavicules interpellent le spectateur sur les notions de transformation, d’évolution, dans l’acception darwinienne de ce terme. Elles l’incitent à se muer en tenant de l’évolutionnisme et à tenter de décrypter de nouvelles lois de la transformation des espèces, espèces psychiques, matérialisations des pulsions mentales et obsessionnelles de l’artiste. Dans le même esprit, sa série de variations sur le thème de la Dent noire, la dernière à subsister sur la mâchoire d’un vieillard, très explicite malgré l’animalisation des structures osseuses des mandibules, double la réflexion sur l’évolution par une autre sur les thématiques du passage et de la décadence humaine. Les dents ne sont-elles pas centrales à notre condition humaine : on souffre pour les avoir, pour les conserver, pour les perdre. Leur état, bien plus que d’autres aspects extérieurs plus voyants, en disent beaucoup sur leur propriétaire…
Plus récemment, dans sa série des Casques, Belloni a monté certaines de ces structures osseuses, comme des exosquelettes, sur des formes de moulages de calottes crâniennes, d’un rose-chair presque shocking, pour constituer des cimiers qui renvoient mentalement à l’art africain, sans cependant s’en inspirer directement, même si le parallèle avec les antilopes (tiwara) des cimiers bambara du Mali semble inévitable. La référence au tableau de Dalí est double : dans la dimension démesurée de la visière de la casquette de l’arbalétrier, mais aussi dans cette côtelette posée sur la tête de son fils. Belloni nous en propose, en quelque sorte, une relecture solide – par opposition aux structures molles du peintre – et décharnée – en ce que, de la pièce de boucherie, il ne reste plus que l’ossature –. Dans certaines pièces, deux de ces cimiers sont accouplés, dans une symétrie presque parfaite, pour évoquer, selon l’état d’esprit du spectateur, la gémellité ou l’altérité. La plus spectaculaire des pièces de cette série réunit, au sol, six de ces Casques dans un enchevêtrement proliférant qui pourrait devenir terrifiant, si la couleur ne démentait tout penchant morbide. On pense alors aux transformations de Bellmer sur sa Poupée désarticulée et reconstituée, si ce n’est que, là où le Silésien devenu Parisien jouait sur les articulations, sur les rotules et sur la peau, Belloni privilégie les os longs et les structures sous-cutanées. Dans les deux cas, cependant, il s’agit de variations – au sens musical de ce terme – sur une créature artificielle aux multiples potentialités anatomiques. L’érotisme est latent. Il est, ici et là, question de mécanique du désir – à l’instar des neuf moules mâlics du Grand verre de Duchamp –, de révélation d’un inconscient physique bridé par les conventions sociales, de répression de pulsions perverses, violentes, destructrices, sadiques. Peut-être aussi du désir de l’artiste de voir sa création dépasser son statut strictement matériel pour accéder à une vocation créatrice – génésique, pourrait-on dire – expérimentale.
La série des Têtes, en ciment ou en cire, perpétue cette pratique de la variation, même si, dans ces pièces, la variation se mue en lente dérive formelle. Partant d’un modelage réaliste d’un crâne humain, Belloni, par des opérations de moulage et de surmoulage enchaînées, le fait évoluer progressivement vers une forme presque abstraite, dont le spectateur, ignorant du processus, peut questionner la nature et le sens. Le parallèle avec la série des Otages de Fautrier est patent. On pourrait donc appliquer ici le propos de Ponge parlant des travaux de l’aîné : « n’y pouvons-nous pas voir une sorte d’héroïsme, de mensonge héroïque, semblable, – et de divine, d’obstinée résistance, opposition à l’horreur par l’affirmation de la beauté.. » Le crâne humain est, dans la peinture occidentale, associé à la vanité, au memento mori, réflexion sur la relativité et l’éphémère de la vie humaine. Ici, chez Belloni, la tête, celle d’un être aimé, se mue lentement, mais inexorablement, en une boule informe, méconnaissable, objet d’aucune attention particulière. L’artiste nous incite à nous poser la question de la conservation, comme s’il s’agissait de têtes réduites par une tribu de Jivaros ou, plus encore, de ces crânes-reliquaires médiévaux ou de ces artefacts polynésiens formés à partir de crânes surmoulés. La double question posée est celle de la conservation de l’écorce osseuse, dans sa forme extérieure, mais aussi de sa possible utilisation en tant que réceptacle contenant et, partant, apte à conserver. Qu’advient-il quand ce qui est censé conserver devient objet de transformation, de néantisation ? Memento quia pulvis es. Quia pulvis es et in pulverem reverteris2.
Dans un tout autre registre, la série des monumentales Graines, en bois, joue sur la thématique de l’enveloppe, d’une peau transformée en carapace – encore un exosquelette ! –, en figurant les semences d’un végétal que l’on ne peut imaginer que démesuré. Certaines d’entre elles sont fendues en deux, dans le sens longitudinal, laissant apparaître une série de compartiments, de poches et de cloisons, comme s’il s’agissait des vestiges archéologiques d’une cité disparue. Les mystères de l’énergie génésique de la semence sont ainsi mis à nu, révélés, en un point de non-retour qui cristallise simultanément le summum du voyeurisme et le comble de l’introspection. Belloni veut nous faire mettre le doigt sur la genèse de la vie et sur l’énergie latente qu’elle contient. Tout ceci sans jamais tomber dans le travers du sensationnel, de l’ostentatoire ou du déclamatoire, un peu à la façon dont une herbe folle peut, inexorablement, ignorant toutes les contingences, braver le béton et le bitume pour frayer sa voie vers le soleil. Cette simplicité devient, à la réflexion, terrifiante, en ce qu’elle renvoie l’humain à sa véritable position, mineure, dans une nature qui l’ignore et sait fort bien se passer de lui. Le tout exprimé avec une pudeur extrême, comme en passant, comme si de rien n’était… La nature est donc indifférente à la désespérance du monde… Qui le lui rend bien… Et le sculpteur est là, pour rendre témoignage de cette incompréhension existentielle, essentielle, ontologique… Cette graine, nous la retrouvons aussi dans le tableau de Dalí sous la forme de cette coquille de noix qui abrite l’image de Gala. Mais là où le peintre la plaçait dans une situation incertaine, périlleuse, prête à être écrasée par inadvertance, le sculpteur la fait imposante, conquérante, dominatrice, proliférante…
Les pièces de la série Croissance, tout en bois, entrent en résonance avec le porte-chaussette que, dans la peinture de Dalí, Tell arbore ostensiblement sur l’un de ses mollets dénudés. Dans l’un et l’autre cas, il est question de tension, d’élasticité, de maintien, voire de torsion. Le matériau est le même que dans les Clavicules, mais sans la cire, brut, tout juste écorcé et dégrossi. On pourrait imaginer de rudimentaires catapultes, des lance-pierres ou des arbalètes bandées. Ce sont aussi les tendons de muscles qui ont été effacés ou dévorés, dessinant, dans l’espace, la place des chairs manquantes. Cette absence charnelle est vécue comme monstrueuse, comme un manque cruel que l’imagination du spectateur tente de suppléer. L’effort de comblement de la lacune génère une nouvelle forme de tension, non pas dans l’espace géométrique tridimensionnel des formes plastiques, mais dans un espace autre, qui est celui des affects.
Il ne faut pas oublier que Belloni est aussi un remarquable praticien du bronze. C’est probablement dans sa série des Insectes que son mode d’expression dans ce matériau trouve sa plénitude. Ses insectes sont dotés de carapaces, à la manière des crustacés, tels de gigantesques acariens. Ils sont souvent présentés renversés, sur le dos, les pattes dans le désordre du désarroi de l’agonie, celui que l’on observe, par exemple, quand on met une araignée sur le dos et qu’elle essaie désespérément de retrouver son équilibre. Ici, la matérialité du bronze et sa patine mettent en valeur la surface externe. Mais, ne l’oublions pas, cet extérieur est aussi, dans le cas des crustacés, un squelette – un exosquelette – comme celui des très daliniens homards transformés en combinés téléphoniques… Belloni les montre avec une délectation non dénuée de mystère, ouvrant de grands tiroirs plats dans lesquels les pièces sont rangées, à la manière des échantillons dans les réserves d’un muséum d’histoire naturelle. Tous différents, mais procédant tous d’une même matrice originelle, ces insectes constituent, eux aussi, une série de variations sur un thème générateur. L’univers en est cruel et impitoyable, celui des mantes religieuses dévoreuses de sauterelles. Par métaphore, Belloni ne manque pas de nous rappeler ce que Voltaire, le pessimiste, déclarait dans son Zadig – « Les hommes sont des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue. » – mais il y ajoute la touche d’espoir que Mauriac, l’optimiste, exprimait si bien : « L’insecte humain ne se décourage jamais et recommence de grimper. » Son travail est bien de nature à éradiquer, à exterminer ce noir cafard qui nous ronge trop souvent.
L’avez-vous remarqué, il y a aussi des insectes, picorés par des oiseaux, à droite, dans le tableau de Dalí… La boucle est bouclée : l’incesticide est devenu insecticide...

Louis Doucet, septembre 2009

index