Lucie Bitunjac
"Utopies"
6 au 31 mai 2008
Lucie Bitunjac
Formation | |
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1993-94 | Kunstakademie de Düsseldorf, Allemagne, Atelier de Konrad Klapheck |
1990-94 | ESBAM de Marseille (École Supérieure des Beaux-Arts de Marseille) |
1987-90 | EPIAR - Villa Arson, Nice (École Pilote Internationale d’Arts et de Recherches) |
Projets d'expositions | |
2013 | Nice Capitale Européenne de la culture Co-errance, Mont Boron « La batterie », Nice |
2009 | Centre culturel Vladimir Filakovac, Zagreb |
Expositions personnelles | |
2008 | Utopies, Galerie du Haut Pavé, Paris |
2006 | Utopies, Musée Ziem, Martigues La ville fortifiée, Galerie Le Tableau, Marseille Dialogue d’espace, Galerie Bienvenue-à-bord, Nîmes |
2005 | Espaces Intuitifs, ARPAC, Castelnau-le-Lez Le Panoramique, Tarascon |
2003 | Utopie ville fortifiée, Galerie du lycée d’Estienne d’Orves, Nice |
1997 | Polje, Galerie Tripalo, Sinj, Croatie |
1996 | Pays sages, Galerie Municipale, Gilette (Alpes Maritimes) |
Expositions collectives | |
2008 | Festival du peu, Bonson Galerie Mourlot, Marseille |
2007 | Portes ouvertes, Château de Servières, Marseille Francuska veza, centre culturel Vladimir Filakovac, Galeries Ramasutra, Mirko Virius, Zagreb, Croatie Fondation Regards de Provence, Marseille Le féminin dans la peinture, Le lavoir, Aubais 7e Prix de peinture J.-M. Mourlot, Galerie des Beaux-Arts, Marseille No-Made, installation in-situ, Roure, Cap-d’Ail, Cannes |
2005 | No-Made, installation in-situ, Roure, Cap-d’Ail |
2004 | No-Made, Médiathèque de Cap-d’Ail, Cap-d’Ail Galerie ART 7, Nice VSA 12/21, Installation in-situ, Valbonne |
2003 | Dans la marge, Villa Romée, Maison de l’Architecture, Cannes Octobre bleu, La brèche, Nice No-Made, installation in-situ, Cap d’Ail, Clans, Roure Bitunjac, Pons, Romeyer, Galerie ALMA, Montpellier |
2002 | Artothèque de Valbonne, Valbonne Traverse 1996-2001, Galerie Un petit pan de ciel bleu, Château de l’Emperi, Salon-de-Provence |
2000 | Galerie Un petit pan de ciel bleu, Salon-de-Provence Salon de Montrouge, Montrouge |
1999 | Carte Blanche 4, Galerie EOF, Paris Carte Blanche 3, L’Atelier sur l’autoroute, Saint-Denis Marseille-Nîmes, Galerie des Grands Bains Douches, Marseille Nîmes-Marseille, Galerie des Arènes, Nîmes |
1998 | Matériaux ou prétextes..., Galerie Marquage, Marseille Éternuements, Galerie Le Faou, Marseille Dix écrins pour l’art contemporain, Galerie Marquage, Marseille |
1994 | Rundgang, Kunstakademie de Düsseldorf, Allemagne |
Bibliographie | |
« Espaces intuitifs et fastes », Midi Libre, 2005, Lise Ott « L’art grandeur nature », Nice-Matin, 2003, Stéphanie Mayol « Artistes de la cité », Accents des Bouches-du-Rhône, Marseille, 2003 « L’art contemporain a investi les rues ... », Nice-Matin, 2003, Jacqueline Pred'Homme « Bitunjac, Pons, Romeyer,.. », Midi Libre, Montpellier, 2003, Lise Ott « Carte blanche 3 », Le journal des expositions, Paris, 1999 « Une galerie des arènes très yin », La Marseillaise, 1999, M.-J Latorre « Marseille via Nîmes », Semaine de Nîmes, 1999, Christophe Bidjarano « Match pictural entre Nîmes et Marseille », Midi Libre, Nîmes, 1999, M.L.-G « Échange Nîmes-Marseille », Gazette de Nîmes n°6, 1999, Julie Décot | |
Textes & entretiens | |
« Lucie Bitunjac », Alain Biancheri « Le 18 Décembre 2003 », Dominique Petry-Amiel « Villam penetrare, perspective intuitive de la cité », Marseille, 2003, Laure Jegat « Dans une hésitation… », Grenoble, 1998, David Llopart « Mon très cher L. B », 1999, Loïc Bachelart « Sous la lumière onirique », 1999, Loïc Bachelart « Le voyage », Marseille, 1999, Loïc Bachelart | |
Catalogues | |
« 5e Concours de Création Artistique », Regards de Provence, Marseille, 2007 « No-Made », Denis Gibelin, Nice, 2005 «Papiers Libres n°40 », Galerie Esca, Milhaud, 2005 « No-Made», Denis Gibelin, Nice, 2003 «Trou n°24 », Marseille, 2003 « 2000 », Nicole Ginoux, Montrouge, 2000 « Marseille-Nîmes », François Bazzoli- Marielle Barascude, Marseille, 1999 | |
Projets | |
Réalisation du projet RENCONTRES Réalisation du projet UTOPIE : VILLE FORTIFIEE Elaboration du projet "COLLECTION DE LIVRES RARES " | |
Prix, acquisitions | |
2° prix de peinture, Fondation Regards de Provence, Marseille, 2007 Fond communal de la ville de Marseille | |
Résidence | |
2009 | Centre Culturel Vladimir Filakovac, Zagreb, Croatie |
Imaginez une fresque du trecento italien, par exemple une de celles qui représentent la ville sainte de Jérusalem telle que se la figuraient les contemporains de Giotto, étrangement semblable aux bourgades entourées de murailles crénelées que l’on découvre encore, de loin, au détour d’une route de Toscane ou d’Ombrie. Éliminez, mentalement, le paysage, les arbres, les personnages, les animaux, les armes, le grouillement de la vie, toute anecdote ou évocation d’un épisode religieux ou historique. Supprimez ensuite tous les détails architecturaux qui subsistent – portes, meurtrières, créneaux, mâchicoulis – et ramenez les murailles à des quadrilatères uniformes. Conservez la couleur dominante de chacun de ces pans et saturez-la en privilégiant les teintes primaires. Découpez le support pour ne conserver que les formes colorées en leur déploiement panoramique. Accrochez le résultat au mur, à une distance de quelques centimètres pour assurer une claire délinéation de l’ombre portée sur la paroi blanche... Reculez de quelques pas et observez... Rapprochez-vous du mur et poursuivez, à la sanguine sur le support blanc, les lignes que vous suggère l’architecture tronquée par les limites du support, développant et amplifiant en l’extrapolant, la structure colorée en un espace purement linéaire.
On ne peut, en regardant ces travaux de Lucie Bitunjac, s’empêcher de penser à la Cité céleste telle que se la représentent les théologiens depuis saint Augustin. Mais, contrairement à la démarche de ces penseurs qui essayaient de cerner l’au-delà en prolongeant et en sublimant la cité terrestre, Lucie Bitunjac part d’une cité déjà idéalisée pour l’extrapoler en un monde décoloré, réduit à son ossature essentielle, plus prosaïque, à l’opposé de la description qu’en donne Jean dans son Apocalypse – « Les assises de son rempart sont rehaussées de pierreries de toute sorte : la première assise est de jaspe, la deuxième de saphir, la troisième de calcédoine, la quatrième d’émeraude, la cinquième de sardoine, la sixième de cornaline, la septième de chrysolithe, la huitième de béryl, la neuvième de topaze, la dixième de chrysoprase, la onzième d’hyacinthe, la douzième d’améthyste. » – et que Messiaen retranscrira si génialement dans ses Couleurs de la cité céleste, 1963.
Lucie Bitunjac dématérialise son sujet, en l’abstractisant. Elle joue avec une perspective, non pas maladroite comme celle des artistes du trecento, mais savamment revue à la lumière de Cézanne et du cubisme, pour la rendre plus expressive, dans un étirement panoramique qui questionne la réalité même de la cité, devenue plus conceptuelle que réelle. La ville représentée par Lucie Bitunjac est-elle réalité ou symbole, matérielle ou projet idéal ? Et pourtant, rien de plus matériel que les couleurs sensuellement tactiles, leurs transparences et leurs opacités, que le support dont l’ombre portée au mur affirme clairement la présence physique. Ces murailles et ces remparts, on aimerait les habiter, s’en faire une protection, un lieu de rêverie ou de recueillement, un peu à la façon dont saint Augustin déclare : « La prière est le plus grand rempart de l’âme. » Les remparts et les murs de Lucie Bitunjac, dans leur déploiement, enserrent un espace compact, celui de notre humanité, mais se prolongent aussi en une perspective illimitée et spectrale, celle de notre pensée, de nos aspirations ou de nos fantasmes.
Lucie Bitunjac nous fait un don, nous incite à prendre possession de cet espace simultanément physique et conceptuel, sans que l’on puisse cependant l’épuiser. On en revient, ici à la pensée augustinienne : « Car posséder sans la donner une chose qui se donne sans s’épuiser, c’est ne pas la posséder encore comme il convient. » Pas de frustration, cependant, devant cette impossibilité de tout embrasser mais, au contraire, un sentiment de plénitude résultant d’un équilibre retrouvé entre couleurs et grisaille, entre ombre et lumière, plein et vide, transparence et opacité, compacité et dispersion, sécurité et menace, plein et délié… La dualité entre l’espace clos et son expansion – à moins qu’il ne s’agisse d’absorption – dans son environnement questionne la relation entre intérieur et extérieur1, mais aussi la notion de temporalité. On en revient encore et toujours à Augustin : « Qu’est-ce que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais. Si je veux l’expliquer à qui me le demande, je ne le sais plus. »
Ayant aplati sa vision de la cité pour la réduire à un noyau compact, coloré et plan qui, par ses multiples germinations, envahit les deux dimensions du mur et au-delà, Lucie Bitunjac lui redonne la troisième dimension dans ses céramiques. La simplification des formes, les couleurs vives, la perspective à plusieurs points de fuite, perdurent et structurent l’espace, comme dans ses œuvres planes, mais le volume résultant n’a rien de réaliste. Inutile d’essayer de retrouver, dans ces objets de dimensions modestes, la représentation d’une quelconque construction humaine, même utopique. Nous sommes dans le domaine de la pure abstraction, privilégiant les angles insolites, les équilibres de guingois, à l’exact opposé de la grille orthogonale d’un Malevitch dans ses architectones. La démarche de Lucie Bitunjac est donc celle d’une dissolution du sujet, puis d’une reconstruction. Mais le processus n’est pas symétrique et le résultat de la seconde phase n’a que peu de rapport avec le sujet initial : du réel à sa sublimation, puis de l’idée vers une nouvelle matérialisation... N’est-ce pas là l’essence de l’acte créateur ?
Et pourtant, aussi peu réalistes qu’ils soient, ses volumes sont habités. Petits et légers, ils peuvent être saisis et posés dans deux mains ouvertes. Leurs couleurs sont chaleureuses et sensuellement tendres. La glaçure translucide laisse deviner le geste de la main de l’artiste qui a posé les pigments sur les surfaces. Le développement, l’imbrication et la juxtaposition des volumes ne doivent rien au hasard mais répondent à des règles tout aussi inexorables que celles qui président au développement des cristaux ou à la réplication des cellules végétales. Mais ceci n’empêche pas l’intervention de l’artiste : deux échantillons géologiques ne sont jamais strictement identiques, ni deux végétaux. Un propos de Platon revient à l’esprit : « Ce ne sont pas les murs qui font la cité mais les hommes. » Tout suggère que Lucie Bitunjac a oublié ce que sont une ville et ses murailles mais s’en ressouvient au fur et à mesure qu’elle crée ses volumes, faisant écho au processus d’apprentissage socratique : « apprendre, c’est se ressouvenir de ce que l’on avait oublié. » Et cette démarche de ré-appropriation, avec ses hésitations, ses simplifications et ses incertitudes contingentes, donne à l’œuvre résultante sa chaleur et son humanité. Loin de toute affirmation péremptoire, de tout dogmatisme, de tout esprit de système stérilisant et réducteur, Lucie Bitunjac poursuit sa démarche expressive, sans prétendre à l’absolu, à la manière de Platon dans son Critias : « Comme nous ne savons rien de précis sur ces choses, nous n’en discutons pas et nous n’examinons pas de trop près ces représentations: nous nous contentons d’une peinture schématique et allusive. » Ou bien encore de Rodtchenko : « L’art est mort. Cessons notre activité spéculative... Le domaine de la réalité est celui de la construction pratique. »
Le dessin est le troisième mode d’expression dans lequel Lucie Bitunjac excelle. Il ne s’agit plus du trait qui prolonge sur le mur les structures colorées des bois découpés, mais de feuilles autonomes, à dimension humaine, dont l’artiste déclare qu’elle y développe « une utopie contestataire » qui exprime sa « frustration devant l’état du monde tel qu’il est et le désir d’une meilleure vie. »
Dans une première série, Lucie Bitunjac développe des plans abstraits, géométrisés, planant sans assise, mais soumis à une perspective rigoureuse que contrebalance une matière subtile. La mine de plomb y est déposée en couches successives, ménageant des transparences insoupçonnées dans cette technique, un peu à la façon dont Seurat gère ombres et lumières dans ses dessins au crayon. Il s’agit encore de murailles ou de parois, mais elles sont, ici, réduites à leur abstraction la plus extrême, des rectangles. Ces remparts laissent voir leur structure intime, un peu à la façon des murs de papier dans les pavillons japonais. Il en résulte une atmosphère paisible et apaisante, comme un effet d’apesanteur. Mais, à y voir de plus près, on découvre la violence du travail du crayon, les effacements et les repentirs, mais aussi les zones où le papier est écorché, arraché, éraflé, violenté, griffé… On comprend alors et on saisit pleinement la grande cohérence de ces travaux avec le reste de l’œuvre de Lucie Bitunjac, cette recherche en forme de quête de l’émergence de la forme et de la couleur à partir de l’informe et du noir et blanc.
Dans une seconde série, la silhouette d’un corps humain apparaît en réserve dans une zone de gris ou est simplement tracée, sans hésitation ni repentir, à la mine de plomb sur une feuille blanche. Le corps est représenté frontalement, les bras légèrement écartés du corps, en un V inversé, les paumes des mains face au spectateur. Des mots inscrits à l’intérieur de la forme désignent les parties du corps, un peu à la façon dont, dans les boucheries de mon enfance, les différentes pièces du bœuf étaient figurées par leur nom sur une silhouette de l’animal : collier, côtes et entrecôtes, macreuse et jumeau, filet et faux-filet, plat de côte et tendron, onglet et bavette, flanchet, rumsteck, tranche grasse et gîte à la noix, gîte… L’écorce humaine se substitue donc, ici, aux remparts et aux murailles des œuvres précédentes. La métaphore est ancienne, ne serait-ce que dans la traduction allemande que Luther fit du Psaume 46 :
Ein feste Burg ist unser Gott, ein gute Wehr und Waffen.
ou encore dans le Nouveau Testament quand le Christ établit un parallèle entre son corps et le Temple, détruit et reconstruit le troisième jour. Lucie Bitunjac l’actualise en protestant contre la réification de l’Homme, ravalé au rang d’animal de boucherie. Elle revitalise ainsi un des fragments d’Héraclite qui déclarait « Le peuple doit combattre pour la loi comme pour ses murailles. » et le transforme pour affirmer que l’homme doit rester la dernière muraille contre l’injustice.
Louis Doucet, mars 2008