Gaël Clariana, Marie-Jeanne Hoffner et Mickaël Troivaux

Carte Blanche à Olivier Grasser

du 7 au 18 décembre 2004


Gaël Clariana

Né en 1971 - vit et travaille à Amiens
146 boulevard de Dury / appt 19 / 80000 Amiens
06.85.70.55.39
gael.photographiecouleur@voilà.fr

Expositions personnelles
2003Amiens, Amiens, Maison de la Culture et des Loisirs, Gauchy
Lycée Jean Calvin, Noyon
2002Amiens, Amiens, Le Chevalet, Noyon
2003Un été au ciné, un regard (Picardie), Centre Culturel le Safran, Amiens / Creil / FEMIS, Paris
Expositions collectives
2004Habiter, Maison de la Culture, Amiens
2003Posdate, La Plate-Forme, Dunkerque
2002Kan be soni, La Petite Fabrique, Amiens
2001Contours, Institut National des Arts, Bamako
Amiens, Amiens, Espace St Jacques, St-Quentin
AONC (Appelation d‘Origine non Controlée), Maison de la Culture, Amiens
Résidences
2002MAJT, Lille
Artiste associé de l‘ACAP, pôle régional image de Picardie
Prix et bourses
2001Aide à la création, Conseil Régional de Picardie
2000Bourse FIACRE, DRAC Picardie

Clariana 1
Résidence principale - C-print - 2000

Clariana 2
Résidence principale - C-print - 2000


Cité radieuse
La pratique artistique de Gaël Clariana, menée en parallèle de travaux de commande et de reportage, appartient au genre de la photographie documentaire, dont l‘objet est d‘associer des enjeux à la fois de représentation et esthétiques. Gaël Clariana a fait de la ville d‘Amiens son sujet principal, et en particulier de ses marges, sites où se manifestent le plus violemment les transformations du paysage urbain. Le choix de cet environnement proche et familier vise à une documentation objective et en temps réel, presque comme une pratique in situ, sans exclure toute approche sensible, voire affective.
Les sujets de Gaël Clariana ne sont pas spectaculaires, bien au contraire. Il s‘est longuement intéressé aux terrains vagues, zones à l‘abandon où subsistent les restes en déshérence d‘un habitat précaire destiné au relogement rapide des populations à l‘issue de la seconde guerre mondiale, et où la nature recouvre irrémédiablement les signes d‘implan-tation humaine. Le réalisme documentaire y était sous-tendu d‘un parti pris esthétique consistant à cadrer au premier plan poteaux, chambranles et autres structures verticales de l‘habitat, formant des axes autour desquels pivotait le regard. La série partiellement présentée ici traite des chantiers et de l‘habitat émergent, une nouvelle série en cours porte sur des arbres isolés dans le paysage.
Les "Résidence principales" montrent des zones pavillonnaires en cours de construction. Dans des environnements neufs et artificiels, les éléments de bâti semblent les pièces d‘un jeu d‘assemblage à l‘échelle monumentale, les maisons se donnent à voir comme des coquilles vides et nues, inquiétantes ou dérisoires par leur impersonnalité et leur ressemblance. Attentif à l‘homogénéité des couleurs d‘image en image, Gaël Clariana s‘attarde sur la géométrie rigoureuse des structures et sur la nudité des surfaces, sur la manière dont le dessin des pavillons articule un espace vide et stérile. Ainsi de la totale absence de présence humaine dans ces images.
Ces oeuvres illustrent un mode de développement urbain parfaitement actuel. Elles sont un regard critique porté sur l‘expansion des villes en zones périphériques d‘habitat individuel et pavillonnaire, qui bouleversent l‘urbanisme traditionnellement organisé en combinaisons d‘axes de déplacement et d‘îlots commerçants et résidentiels. Apparaissent des manières anachroniques de s‘approprier l‘espace, ainsi des boîtes à lettres et des enclos de propriété surgissant avant même les premiers murs, que l‘accrochage non narratif vient renforcer. La prolifération des pavillons traduit également des transformations sociales et économiques de la société occidentale, en particulier l‘adoption par les classes moyennes de modes de vie structurés par des réflexes individualistes de protection plutôt qu‘inscrits dans des courants de pensée collective. Enfin, Gaël Clariana témoigne ici d‘une perception de l‘architecture par le grand public comme d‘une discipline scindée sur deux versants : un abord privé, matérialiste et fonctionnaliste quand elle traite de l‘habitat domestique et d‘une potentielle projection de l‘individu dans son style de vie pratique, et un aspect public et plus utopique quand elle se revendique comme un terrain de recherche esthétique et formelle.
Les photographies de Gaël Clariana fabriquent la mémoire d‘espaces éphémères et généralement négligés au profit d‘une vision du paysage urbain plus achevée et pérenne, conforme à l‘usage et à la consommation. Les photographes documentaires ont démontré que le sujet, le cadrage et la qualité du développement, mais aussi les variations de couleurs et de lumière, font de la photographie un champ ouvert à une totale subjectivité, à même de la faire considérer comme une discipline artistique à part entière.

Olivier Grasser


Marie-Jeanne Hoffner

Née en 1974
Vit et travaille à Paris et à Chateauroux
mjhoffner@hotmail.com

Formation
1997Bourse d'échange, Glasgow
1999Ecole Régionale des Beaux-Arts, Nantes
2001Bourse de résidence, Collège Marcel Duchamp, Châteauroux
2002Aide à l'installation, DRAC Centre
2003Bourse de résidence, Synagogue de Delme, Lindre-Basse
Expositions personnelles
2004Formes du relief, Les Dominicaines, Pont-L‘évêque
Landscape, Ecole municipale des Beaux-Arts, St-Nazaire
Installation, My.Monkey, Nancy
2003Galerie Ludovic de Wavrin, Paris
Mr. Burrow, avec Michel Guillet, Galerie IPSO FACTO, Nantes
2002Elévations, Arteaspoon Galerie, Bruxelles
Stairway to heaven, Project Room, Independent Studios, Glasgow
Expositions collectives (selection)
2003Lindre 03, Le Castel Coucou, Forbach
Art en depot, oeuvres en kit, La vitrine,Limoges / Bon Acceuil, Rennes / Ipso Facto, Nantes (cat.)
Acquisitions 03, Le Ring, Artothèque de Nantes
2001Espace vital, La Criée, Rennes (cat.)
2000Jeune Création, Espace Eiffel-Branly, Paris
1998Courant d'art, Deauville
The tronway art center, Transmission Gallery, Glasgow
Bibliographie
Emmanuel Posnic, Un minimalisme pas très dominicain, oct. 2004
Pierre Giquel, in 303, mai 2004
Marianne Lanavère, mai 2003
Pierre Giquel, En attendant Mr Burrow, in Ouest France, janvier 2003
Véronique Linard, Elevations, sept. 2002.
Emmanuel Posnic, Marie-Jeanne Hoffner : l'invitation au voilage, in Art Présence, juill. 2002
Larys Frogier, Marie-Jeanne Hoffner : habitats intersticiels, in 02, nov. 2001
Lionel Balouin, A l'endroit du lieu, juin 2001
Espace vital, catalogue de l'exposition, La Criée, juin 2001

Hoffner 1
Stairway to Heaven (2002) - Glasgow Project Room
feutre sur polyane 250 x 300 cm, bande adhésive 600 x 250 cm

Hoffner 2
Vitrine de Ipso Facto, exposition Mr Burrow (2003) - Nantes
feutre sur polyane, 280 x 300 cm


S‘approprier l‘espace
Marie-Jeanne Hoffner interroge notre connaissance de l‘espace, et en particulier des espaces quotidiens qui sont le théâtre des mouvements du corps autant que de ceux de l‘esprit. Son travail a pour effet de déjouer et de brouiller nos modes d‘identification automatique en y insinuant des déplacements de temps et de conscience, ces déplacements que Marcel Duchamp qualifiait "d‘effets-retards" et qu‘il pensait nécessaires pour questionner le réel. A la reconnaissance immédiate du type et de la fonction du lieu, tissée de la première expérience visuelle et corporelle que l‘on en fait, Marie-Jeanne Hoffner rajoute une superposition de transparences, au sens premier comme au figuré. Mettant en jeu divers modèles de représentation, elles sont destinées à suggérer une libre inscription de l‘individu dans l‘espace.
Ce travail interpelle en premier lieu la conscience subjective du visiteur et repose largement sur des interventions éphémères et in situ prenant pour cadre des espaces intérieurs de la vie quotidienne, considérés comme territoires par excellence de l‘intime et de l‘intériorité. Le "hic et nunc" de l‘installation accentue les retards et les glissements, même si les décalages mis en ›uvre font parfois dialoguer le dedans et le dehors ou l‘architecture et le paysage, questionnant ainsi le rapport de cette subjectivité au corpus de l‘acquis culturel et collectif. Les installations mettent souvent en scène empreintes et prélèvements de détails ou d‘irrégularités d‘un espace, donnés à voir sur place et comme autant d‘indices sensibles révélant autant sa singularité qu‘une impossible globalisation de sa perception.
Le trouble qu‘induisent les oeuvres de Marie-Jeanne Hoffner repose largement sur un usage de plans transparents - film plastique, papier calque, vitre ou surfaces évidées que le regard traverse - tendus verticalement et intercalés entre le visiteur et l‘espace, l‘obligeant à un déplacement latéral plus que direct, allant parfois jusqu‘à lui en rendre l‘accès impossible autrement que visuellement et mentalement. S‘y reconnaissent des vues en perspective et à main levée de l‘espace, le dessin simple de la forme d‘une maison, des cartographies urbaines simplifiées. Marie-Jeannne Hoffner réalise aussi des dessins au scotch, de grande échelle et à même le mur, de schémas de pliage et de construction de volumes simples, des formes que la matérialité du mur vient alors remplir. Dessins, plans, cartes, schémas et maquettes sont aussi bien les archétypes d‘une imagerie enfantine de l‘espace que les outils de l‘architecte et du géographe. Perceptions de l‘espace représenté et de l‘espace réel se superposent, le premier parasitant le second. Les modèles de représentation d‘une pensée de l‘espace et de la construction sont manipulés comme les signes génériques d‘une culture collective, brouillant et redynamisant l‘approche singulière de l‘individu par allers-retours entre le réel et le figuré. Le travail glisse vers l‘abstrait et les espaces s‘apparentent des "topoï" plus qu‘à des lieux réels.
Comme la cartographie relie l‘espace réel à celui du livre et de la vision, le travail de Marie-Jeanne Hoffner articule le réel à sa représentation en jouant de la transparence mais aussi des basculements de plans. Le sol horizontal devient plan frontal de représentation, l‘image s‘inscrit dans la réalité. Les deux espaces ne se masquent jamais complètement, au contraire ils s‘assimilent dans la perception, s‘y projettent en abyme, induisant un mécanisme d‘accommodation entre univers hétérogènes. Références et expériences se conjuguent et Marie-Jeanne Hoffner construit son oeuvre à partir d‘une relecture de principes relevant autant de la peinture que de la sculpture. Mais elle évite tout processus de citation et suggère davantage un positionnement actif de l‘individu au regard d‘archétypes culturels. Dans l‘Antiquité, l‘architecture et l‘espace construit étaient pensés comme modèles rhétoriques pour l‘art de la mémoire. Or c‘est bien à une singularité de la conscience et de la mémoire qu‘il est ici fait appel. Dans une société de la segmentation des savoirs et du formatage par l‘économique, peut-on y voir un mode de vigilance ou de résistance au quotidien ?

Olivier Grasser


Mickaël Troivaux

2 rue Lescouvé - 80000 Amiens
06.19.18.12.78
Vit et travaille un peu

Résidences
2003-04Invité par Stephan Zaubitzer, Etouvie, Amiens
2000-01La Forge - Quelle vie, Val de Nièvre
Eclat d‘Etats, Val de Nièvre
Publications
200380000 Etouvie, Ed. CSC Etouvie
2002Quelle vie !, Ed. Collectif La Forge
La Cathédrale St Pierre-de-Beauvais, Oise, Ed. Itinéraire du Patimoine
Expositions personnelles
2004Veilleurs de Nuit, Ouagadougou, Esp. Picasso, Longueau / La Briquetterie, Amiens
2003Veilleurs de Nuit, Ouagadougou, Centre d‘art Henri Matisse, Amiens
2002A l‘émancipation... images d‘une création, Maison du Théâtre, Amiens
Expositions collectives
2004Voies Off 2004, Arles
80000 Etouvie 2, Centre d‘art Henri Matisse, Amiens
La Briquetterie, Amiens
200380000 Etouvie, Centre d‘art Henri Matisse, Amiens
2002NADA, La Briquetterie, Amiens
2001Mêlez-vous de ce qui vous regarde, Comédie de Picardie, Amiens
Théâtre de Beauvais
Prix et bourses
2004Bourse FIACRE, DRAC Picardie
2000Prix du jury ILFORD

Troivaux 1
Les Veilleurs de nuit (2003)

Troivaux 2
Les Veilleurs de nuit (2003)


La lumière du corps de l‘autre
Bien que ne cherchant à adhérer à aucun style particulier, Mickaël Troivaux donne néanmoins à son travail photographique des caractères à la fois documentaires et plastiques. Il documente un aspect du réel tout en affirmant de forts choix en termes de couleurs, de composition et de cadrage.
La série des "Veilleurs de Nuit" a été réalisée au Burkina Faso, lors de séjours effectués à Ouagadougou en 2003 et 2004. Mickaël Troivaux a photographié des hommes en train de dormir sur des couches de fortune sommairement aménagées sous l‘éclairage des devantures de magasin. Ces dormeurs sont en fait des gardiens employés par les commerçants pour surveiller leur boutique pendant la nuit et la protéger des pillards éventuels. Pendant leur temps de gardiennage, ils se laissent aller à des moments d‘assoupissement. Les images montrent des corps dans la relâche du sommeil, dans un environnement précaire et sous des lumières blafardes. La série a été faite en deux temps. Lors de son premier voyage, Mickaël Troivaux a photographié les veilleurs à leur insu. Dans un second temps, conscient de sa responsabilité de photographe par rapport au sujet, il en a retrouvé certains, leur a montré les clichés et leur a demandé, ainsi qu‘à d‘autres, de reprendre la pose pour de nouvelles prises. Les cadrages et les lumières, à l‘origine relativement spontanés, sont alors plus recherchés, une plus grande théâtralité s‘introduit.
C‘est d‘abord d‘une certaine réalité sociale dont témoignent ces photos : l‘état latent d‘insécurité, la pauvreté de l‘habitat et des modes de vie, le manque de travail ou au moins une hiérarchie des valeurs du travail différente de la nôtre. Ces images nous rappellent forcément une actualité de la violence et du sous-développement en Afrique, comme elles nous renvoient au spectacle devenu banal des SDF dans les rues des villes occidentales, faisant se rejoindre l‘ici et l‘ailleurs dans l‘idée d‘un présent universellement tumultueux. Né dans une société cosmopolite à laquelle prennent part de nombreuses populations noires, il est significatif que Mickaël Troivaux ait souhaité aller dans un de leurs pays d‘origine. Il pourrait s‘agir d‘un désir d‘exotisme, peut-être alimenté par la popularité des musiciens noirs dans la culture actuelle. Ou d‘une curiosité née de la nature indéniablement différente des Noirs comparée à celle des Occidentaux. Ou encore d‘une sensibilité aux questions que soulève leur inscription dans notre organisation sociale, en particulier celle du racisme, dont on peut comprendre qu‘elle représente pour un individu jeune un fait acquis et pourtant inacceptable de son environnement quotidien. Mais le choix du sujet, et qui plus est sa réitération, atteste certainement d‘un besoin de regarder l‘homme sous un autre angle que celui par lequel il est ici socialement défini, de considérer cette population noire loin des rôles qu‘elle joue dans notre proximité et loin des clichés que notre culture en fabrique. Pour Mickaël Troivaux, la photo est un véritable moyen d‘envisager l‘altérité.
L‘environnement de ces veilleurs de nuit semble bricolé, plus chaotique qu‘organisé, fait d‘un enchevêtrement dense de matériaux de construction hétérogènes, et dont l‘éclairage et les couleurs contredisent la pauvreté pour en faire au contraire ressortir des qualités graphiques et picturales. Les corps occupent dans l‘image une position centrale, au coeur d‘un réseau savamment orchestré de plans. Les sources lumineuses, souvent hors cadre et déchirant violemment l‘obscurité de la nuit, donnent aux images le caractère artificiel d‘une mise en scène de théâtre ou d‘une prise de vue en studio. Le corps semble irradier lui-même d‘une sensuelle aura lumineuse dans un espace immobile, conférant à l‘image un aspect surnaturel d‘une étrange beauté. Néanmoins, les veilleurs sont des individus sans visage et dissimulés sous leurs vêtements. Ils sont représentés couchés et près du sol, comme partie prenante d‘une composition architecturée, dans une attitude intrigante où se combinent tension et relâchement. Il se dégage des images de Mickaël Troivaux une curieuse indéfinition de leur état, entre sommeil et mort, entre grâce et morbidité. Le constat social s‘accompagne d‘une réelle interrogation sur l‘être.

Olivier Grasser

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