Carte Blanche à Bernard Point

Samuel Aligand - Caroline Molusson - Lydie Régnier - Anne-Laure Sacriste

"Arcs-boutants"

du 7 au 21 décembre 2006


Lydie Régnier & Samuel Aligand


Caroline Molusson


Anne-Laure Sacriste


Au sortir de la galerie je trouve réponse évidente à "carte blanche" : arcs-boutants.
Très rapidement je retiens quatre jeunes artistes qui m'ont toujours sollicité pour avoir plusieurs cordes à leur arc. Leur engagement spontané dépasse mon attente, car tous décident avec enthousiasme de s'arc-bouter en prenant appui fortement sur les murs et la vitre/image de la galerie.
Caroline Molusson choisit le volume du fond en présentant une vidéo qui témoigne par sa propre attitude de sa prise en compte de l'espace. L'autoportrait de sa silhouette se plie ou se dresse, se courbe ou se bande, s'allonge ou se ferme, se recule ou s'arc-boute sur les parois virtuelles d'un lieu créé à partir de ses maquettes architecturales. Elle passe des portes, traverse des murs ou est traversée elle-même par ces constructions immatérielles à l'aspect fragile qui font douter de la solidité du lieu où nous sommes. De temps en temps, de retour à la position verticale, elle semble se fragiliser par le glissement latéral de l'espace qu'elle filme et qui la met en péril. Alors je n'oublie pas que Jeanne d'Arc qui voulait "bouter les Anglais hors de France" connut à quelques mètres d'ici, aux pieds du palais, son premier échec en étant blessée d'une flèche, devant l'arc de Nazareth !
Il me reste maintenant dans la galerie à franchir le porche intérieur pour me tourner vers la vitrine/vue sur les arcs-boutants de Notre-Dame.
A ma droite un grand mur traversé d'un arc surbaissé qui se tend en direction de la vitre.
Anne-Laure Sacriste oublie ses dessins sur papier qui m'avaient interpellé par l'accumulation d'arceaux, d'arcatures et de courbures de branches, pour cette fois intervenir directement sur le plein de la cloison.
Il s'agit pour elle de tirer de l'arc en direction de la cathédrale. C'est ainsi qu'elle lance ses flèches végétales par impression de carbone pour magistralement marquer de traces cette agression graphique.
Bien entendu il s'agit aussi de feuillage mais il est aussi souvent dessiné par le pourtour comme le sont aussi un certain nombre de branchages, peut-être en allusion au tracé des plombs des vitraux.
Mon oeil suit les directions proposées et traverse maintenant les arcades hivernales et arborescentes qui se greffent sur les arcs-boutants minéraux, cambrés autour de l'édifice. Anne-Laure n'avait pas oublié en concevant son projet, après sa visite sur le site, qu'en décembre les arbres dépouillés de leurs feuilles laisseraient voir la merveilleuse prolifération de contreforts, de pinacles et d'arcs qui font se traverser pleins et vides comme l'artiste croise traits acérés et contours alambiqués sur le plein/vide du mur.
Le plateau de la vitrine devient à mes yeux parvis théâtral, présentoir d'un "mystère". Pertinemment Lydie Régnier et Samuel Aligand s'arc-boutent pour donner à voir une scénographie rythmique. Samuel à partir des planches bande vers la vitre de longs et fragiles thermoplastiques. Lydie accroche de fins rubans de scotch qui tendent vers la rupture des arceaux, en répondant au défi architectural de l'arc-boutant. Je n'oublie pas les nombreux effondrements qui ont ponctué l'invention géniale mais périlleuse de la croisée d'ogives.
Et c'est ainsi que Lydie dont le travail habituel se nourrit de l'éphémère, introduit des cendres sur ses rubans en les accumulant vers le bas pour permettre la montée du regard vers la lumière. Les constructions arachnéennes, à l'assaut du verre, suivent la courbure de l'arche en s'éloignant du mur et me donnent envie de sortir pour découvrir de l'extérieur ces cambrures qui signalent les contradictions médiévales. En effet, la recherche de la lumière signifiant l'architecture gothique, est obscurcie par la densité colorée des vitraux.
De retour dans la galerie j'achève ma déambulation aux pieds du pilier qui fait face à la porte. Au sol, prennent appui, une prolifération de forces arc-boutées rappelant la dynamique de mon regard lorsque je parcours le chevet déambulatoire de la cathédrale. Les deux artistes, en travaillant ensemble pour la première fois, décochent le trait en tirant de l'arc brisé et tournant, après leur visite commune à la croisée de transept entre les deux rosaces, tournoyante sur ses pointes au nord, et figée sur ces axes au sud.
Sur le mur Samuel dresse une suite de dessins fragmentant des signes arqués qui appartiennent à ses recherches colorées et graphiques sur les tensions dans l'espace. Lydie dresse sur un pilier une colonne de petites photos appareillées en privilégiant encore une fois la lumière vers le haut.
Dernière remarque d'évidence: aucun arc-boutant n'existe sans la volonté implacable des constructeurs de maintenir la verticalité de piliers à l'équilibre vertigineux. Tous les deux ont compris combien cette proposition arc-boutée était solide mais risquée. Caroline Molusson elle aussi se met en péril lorsqu‘elle se dresse en équilibre instable. Quand Anne-Laure Sacriste noircit une branche dont la cambrure est tendue en droite effilée, elle dessine un risque de chute.
Le risque est maintenant pour ce texte qui est évidemment écrit avant la mise en place définitive. Il peut donc se compléter par un ajout ou se reprendre en erratum qui viendra s‘arc-bouter sur ma foi en l'art que ces quatre artistes construisent.

Bernard Point, 22 IX 06

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