ConDom - Carte blanche à Karim Ghaddab

Nathalie Elemento

Jean-François Leroy

Miquel Mont

du 8 au 19 décembre 2009


Nathalie Elemento

Née en 1965 à Saint-Nazaire
Vit et travaille à Paris
Expositions personnelles
2007Nathalie Elemento, Musée d’Art Contemporain, Sérignan
2006Décorum Ière partie, Galerie Claudine Papillon, Paris
2005One man show, Galerie Claudine Papillon, Art Brussels, Paris
2003Vue d'ensemble, 75 rue de la Roquette, Paris
2002Comme vous voulez, Galerie l'Aquarium, School of Fine Arts and Architecture, Valenciennes
1999Bout de chemin, Jardin de sculptures de Daniel and Florence Guerlain, Les Mesnuls
1998Pour pas que ça s'arrête - Pour que ça continue, Galerie Nathalie Obadia, Paris
1995Dites-lui qu'il faut rembobiner, Galerie Météo, Paris
La maison est en carton, les escaliers sont en papier, Galerie Nathalie Obadia, Paris
1993Tu manques, Galerie du Forum St-Eustache, Paris
Ça gîte de ce mouvoir, Galerie Météo, Paris
Expositions collectives (depuis 2007)
2008Prêt-à-porter, Kasseler Kunstverein, Kassel
2007Experience Pommery 4, L'emprise du lieu, Domaine Pommery Domain, Reims
Nathalie Elemento/Marie-Ange Guilleminot, Musée d’Art Contemporain, Sérignan
Collection de le Société Générale, Musée Régional d’Art Moderne, Céret
Points de vue, images du monde, Ecole des Beaux-Art et d’Architecture de Rouen
Le jour et la nuit, Collection FRAC Ile-de-France, Rentilly
Acquisitions 2007 de l’Artothèque de Nantes, Le Ring, Nantes
De leur temps) (2), Art contemporain et collections privées en France, Musée de Grenoble


Deuil, 2009


Out of frame, 2008


Jean-François Leroy

Né en 1982 à Dunkerque
Vit et travaille à Paris
Expositions personnelles
2009There are more things, Stork Galerie, Rouen, France
Scène0/Acte1, Paris, en collaboration avec Julie Fruchon
2008Scène0/Acte0, Paris, en collaboration avec Julie Fruchon
2006Paysage d’Intérieur, Association LAC&S, Limoges, France
Expositions collectives
2009Les eaux calmes, en collaboration avec Lukas Hoffman, commissariat de Thierry Léviez, Espace Lhomond, Paris
Une exposition de peinture, commissariat de Aude Launay, L’atelier, Nantes
Courbure de l’espace, avec Patrick Hébrard, Galerie épisodique, Paris
2008In/média, LAC&S, Limoges
2007dix-7 en zéro-7 (catalogue), exposition des félicités de l’ENSBA, Quai Malaquais, Paris
Espace d’Art contemporain Eugène Beaudouin, Antony
Pression à froid, Couvent des Cordeliers, Paris
2006Conversation, Galerie de l’ENSBA, Commisariat du Master prod’ Histoire de l’art de la Sorbonne, Paris


Combinaison, 2007
Bois, crépi, aluminium, peinture acrylique et glycérophtalique



Foyer 2 et 3, 2009, bois, peinture glycérophtalique et acrylique, 250x122 cm
Bureau d'étude, 2009, bois, néon, peinture acrylique, 130x110x50


Miquel Mont

Né en 1963 à Barcelone (Espagne)
vit et travaille à Paris
Expositions personnelles (depuis 2006)
2009Lapsus, Galerie Aline Vidal, Paris, France
2008Sept Flickers, Frac Alsace, Espace Gilbert Estève, Sélestat, France
2007Plasmàticos, Galeria Distrito4, Madrid, Espagne
Collages idéologiques, Artothèque d’Angers.
2006Galerie Aline Vidal, Paris, France
Ruzicska Gallerie, Salzburg, Autriche
Expositions collectives (depuis 2006)
2009Beyond Painting, Bohusläns Museum Uddevalla, Suède (catalogue)
La Galerie Aline Vidal s’expose à Izmir, Centre Culturel Français d’Izmir, Turquie.
La galerie Aline Vidal s’expose à Marseille, galerie des Bains Douches de la Plaine, Marseille
L’Empathie des partie / afinitats electives, CRAC Languedoc Roussillon. Projet de Miquel Mont avec la complicité de Gloria Picazo et Noëlle Tissier.
2008Afinitats Electives, Centre d'art la Panera, Lleida, Espagne. Projet de Miquel Mont avec la complicité de Gloria Picazo et Noëlle Tissier.
La Peinture en Question(s), dans le cadre de France-kunstart.be, anciens abattoirs de Mons, Belgique. commissaires : Anne-laure Chamboisier et Bernard Marcelis.
la même chose mais autrement, Villa du parc, centre d'art contemporain, Annemasse (avec Gerwald Rockenschaub et Morgane Tschiember)
+ de réalité, Hangar à bananes, Nantes
« Comme si un œil sans paupière s’ouvrait au bout des doigts », Vestibule La Maison Rouge, Paris, France.
20065a Bienal d’art Leandre Cristófol , Centre d’art La Panera, Lleida, (catalogue)
La Force de l’Art, I Triennale de Paris, Commissariat Eric de Chassey.


Sans Titre de la série Réalisme de marché, 2004
métal, plexiglas, peinture murale, 185 X 260 X 53 cm



Lapsus VII, 2008, contreplaque 185 X 122 X 2 cm et peinture murale
Pore 41, acrylique et laque / contre-plaqué, 146 X 114 X 6,5 cm


ConDom
(d’un constructivisme domestique)
Lorsque Victor Chklovski affirme, en 1923, que « les œuvres d’art ne sont plus des fenêtres ouvrant sur un autre monde, ce sont des objets1 », ce n’est pas seulement une tridimensionnalité en opposition au tableau qu’il a en tête, mais bien davantage le dégorgement du champ de l’art hors de lui-même et la fécondation du monde dit « réel ». Le « Proun » d’El Lissitzky en est une autre formalisation explicite. La résonance profondément matérialiste qui entend mettre ainsi un terme à la tradition transcendantale de l’art héritée de la Renaissance ne renvoie pas seulement à une analyse marxiste de l’œuvre ; elle doit aussi être comprise comme la perception d’un moment historique où les promesses métaphysiques vont pouvoir être tenues. L’objectalité dont parle Chklovski, n’est rien d’autre que la réalisation du monde esthétique, par opposition à l’utopie des images.
Au-delà de leurs spécificités, le travail des trois artistes présentés dans l’exposition ConDom offre des affinités avec un tel programme. Miquel Mont est probablement celui dont la démarche est la plus ancrée dans la picturalité, alors que Nathalie Elemento est plus strictement sculpteur, tandis que Jean-François Leroy occuperait la position charnière. Mais chacun tente, à sa manière, d’articuler la peinture et la sculpture. L’idée d’une copule entre les genres artistiques est liée à la conception d’une sphère de l’art en expansion, indivise, porteuse d’une gémellité : au monde à naître correspond un homme nouveau. Pour les constructivistes russes de la décennie 1915-1925, le travail artistique est donc projeté comme une activité séminale appelée à transformer radicalement la vie. D’un point de vue strictement technique, la copule est présente dans nombre des œuvres de ces trois artistes : charnières, gonds et plus largement occupation du mur et/ou du sol. L’œuvre ne se donne plus comme une totalité monolithique ; elle est un assemblage de plans, parfois mobile, souvent démontable.
Pour Alexandre Rodtchenko, « le volume montre la tridimensionnalité de la construction, mais il ne doit pas être une forme réellement sculptée2 ». De fait, c’est ce que réalisent les articulations de plans chez Elemento, Leroy et Mont. À considérer la tridimensionnalité comme une définition suffisante de la sculpture, nombre de leurs œuvres ressortissent à ce champ, mais elles ne sont ni sculptées, ni modelées en un sens traditionnel. Elles sont construites. Les matériaux de base de ces constructions sont ceux des constructions ordinaires : bois, métal, contreplaqué, verre, vis, charnières, peinture industrielle, fils électriques… « Le problème du matériau, écrit Nicolaï Taraboukine, disparaît en tant que problème autonome, parce qu’il fait corps, d’une part, avec le problème de la facture, et, de l’autre, avec celui de la construction ; en effet, le matériau dans l’œuvre d’art se présente à nous sous une forme traitée et c’est ce traitement du matériau que nous appelons facture3 ». Ceci ne signifie nullement que Elemento, Leroy ou Mont témoignent d’une quelconque nonchalance quant au choix de leurs matériaux. Mais, précisément, les processus auxquels ils ont recours tiennent davantage à des opérations de sélection et de montage que de fabrication matérielle (Nathalie Elemento confie d’ailleurs la réalisation de certaines de ses œuvres à un prototypiste). L’industrie qui avait déjà fourni aux artistes la peinture en tube, il y a près d’un siècle et demi, met aujourd’hui à leur disposition un choix quasi infini de couleurs, de textures, de matériaux et de techniques. Pour les constructivistes, l’apport essentiel de la production industrielle, du point de vue formel, résidait dans deux choses : ploskost (la surface-plan) et faktura (la texture). Dans le travail d’Elemento, Leroy et Mont, si le volume est essentiellement produit par assemblage de plans, la qualité des surfaces n’est pas délaissée et uniformisée dans un aspect industriel moyen. Au contraire, le recours à telle peinture acrylique ou à tel revêtement synthétique, l’intégration du matériau brut, l’utilisation du rouleau ou du pinceau, etc., sont autant de procédures qui produisent des richesses formelles et des subtilités de textures nouvelles. Loin de marquer un désinvestissement de la forme et de se réduire à une manipulation de signes post-historique, elles témoignent au contraire d’une exigence et d’une complexité accrues. Il est d’ailleurs significatif qu’aucun de ces trois artistes ne joue d’un simple déplacement de motifs hérités passivement de la production industrielle, comme d’un jeu infini de combinaison, de citation et de déplacement. Tous produisent des objets singuliers.
La mise à disposition de toute la gamme des matériaux industriels corrode définitivement la frontière distinguant l’art et la vie quotidienne. L’un et l’autre ne sont plus structurés par des modalités de visibilité autonomes. Sculpture, peinture, mobilier, aménagement domestique deviennent les polarités d’un champ unifié qui se déploie sans limites et se confond avec le réel lui-même. Selon Taraboukine, « le créateur qui travaille sur du bois, du fer, du verre a toujours affaire à des matériaux authentiques, et non artificiels4 ». Cette authenticité est celle de nos intérieurs domestiques, de nos espaces publics, de nos aménagements urbains. Entendons par là que ces environnements, s’ils se caractérisent par des modes de fabrications industrialisés, constituent effectivement une interface avec nos expériences quotidiennes plus authentique que les catégories artistiques traditionnelles. Par comparaison, celles-ci apparaissent comme des enclaves ou des réserves dont le contenu tient essentiellement à la visibilité des marqueurs qui les distingue de leur environnement. Au-delà des matériaux employés, Elemento, Leroy et Mont recourent à une typologie de formes en partie empruntée au monde des objets et à la domesticité : Réalisme de marché de Miquel Mont est dérivé d’une étagère métallique, Bureau d’étude de Jean-François Leroy est une table de travail, et Familiarité de Nathalie Elemento est un radiateur mural ! Tout l’œuvre d’Elemento, en particulier, se développe autour d’une réflexion sur l’objet quotidien, la domesticité et les détournements d’usage.
Bien entendu, une telle familiarité avec le monde des objets quotidiens pose la question du design. Pour Karl Teige, « le constructivisme prône la négation du formalisme par le fonctionnalisme5 », ce qui ne signifie rien de moins que la dissolution de l’art au profit de l’utilitarisme. S’il est communément admis (au point d’en faire un truisme qui gagnerait à être reconsidéré plus finement) que les avant-gardes ont échoué, il est difficilement contestable que le design, lui, se porte plutôt bien. Cette opposition, binaire et grossière, correspond opportunément aux discours messianiques sur la fin de l’histoire et l’avènement du royaume de la social-démocratie libérale. Pour caricaturer encore davantage : la marchandise a gagné par K-O. Mais si cette histoire a l’avantage de la simplicité, elle présente l’inconvénient d’être fausse. D’une part, c’est rendre un bien mauvais hommage au design que de réduire la diversité de ses approches au rôle de véhicule servile du marché. D’autre part, soutenir que les œuvres d’art sont des pures idéalités incompatibles avec le libre-échange et la spéculation relève d’une singulière cécité. Enfin et surtout, la supplantation de l’art par le règne des objets fabriqués en série était le programme explicite du constructivisme, comme celui de De Stijl et du Bauhaus. Ainsi, l’historien d’art Andreï Nakov relève-t-il que « la proclamation de l’inutilité sociale de l’œuvre d’art annonce en U. R. S. S. l’ère du design6 ». Plutôt que le produit d’une idéologie politique, le design en tant que projet est le fruit d’une conjonction des situations historique et technique. Que ces situations n’aient pas été fondamentalement différentes à l’est et à l’ouest explique que le minimalisme et l’industrie américaine aient réalisé le programme des avant-gardes russes.
Un siècle après le constructivisme, un demi-siècle après le minimalisme et une vingtaine d’année après le triomphe économique et social du design, Nathalie Elemento, Jean-François Leroy et Miquel Mont se confrontent à une situation nouvelle. En tant qu’usage domestiqué des œuvres, le fonctionnalisme structure profondément leur travail. Jean-François Leroy utilise largement des matériaux de récupération, indiquant en cela qu’il s’inscrit dans une postériorité vis-à-vis de l’abondance fournie par l’industrie. Mais il pervertit ce fonctionnalisme hérité en le contrariant ou en lui inventant de nouveaux usages. Certains projets du constructivisme sont donc repris et comme préservés par le travail de ces trois artistes, notamment dans leur dimension émancipatrice, séculière et domestique.

Karim Ghaddab, décembre 2009

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