Carte blanche à Annick Doucet

Frantz Absalon
Jean-Philippe Baudry
Patrick Coquelin
Zuzana Hulka
Guy Le Meaux
Raymond Perget
Xavier Ribot
Jean-Claude Tardivo

du 5 au 17 décembre 2000


Frantz Absalon

Né à Fort-de-France en 1948

Frantz Absalon sculpte le bois. Actuellement, peu d‘artistes risquent la confrontation avec un matériau bien plus difficile à travailler qu‘il n‘y paraît. Le bois impose son «fil» dont il faut tenir compte autant que des échardes redoutables. Frantz Absalon ne s‘en plaint pas. Il aime son matériau au point de s‘attarder sur l‘odeur du bois mouillé qu‘il retrouve après chaque pluie en longeant les jardinets qui bordent la rue. D‘ailleurs, c‘est à la rue qu‘il doit l‘essentiel de son travail dont la sensibilité «urbaine» est insolite.

Françoise Espagnet, 1993


Jean-Philippe Baudry

Né à Paris en 1943

Du spirituel dans l‘arpogroucho spatial
Cinoptique chronoptique autoptique autoroute jaune orange rouge violet ciel d‘été herbe rouge orange bleu violet citron Chevreul mercltten brasure révolution cercle balancier aléatoire amstrongcolor kaléidochromie giroscope phénakisticope praxinoscope stroboscope honomatoscope périscope amérique point ligne-plan point à la ligne ligne brisée ligne courbe télégraphe obsession signalétique fascination magique primaire secondaire prisme spectre contraste Delaunay accélération compte-tours vitesse mobile statique stratégique intuitif rapsoptique in blue noctamfunanbule hypnautilus spirale mouvement rotation fusion immersion du bois forêt flash jongleur simultané polychrome paracouleur tourbillon balançoire du soir aspirine mérovingien toupie ostensoir milliardaire giratoire Miró cohérence turbulence trou noir.
En infraction je m‘amuse au jeu de la création contraint à force de traverser ces sensations.

Jean-Philippe Baudry, 1992


Patrick Coquelin

Né à Paris en 1959

Nous voyons comment Patrick Coquelin a déposé les limites du conventionnel.
La forme est dissoute dans la dialectique du continuel-discontinuel.
La forme se transfigure ainsi en signe ou signal du passage, de la vitesse sans contraintes.
Dans ses toiles l‘avant-après, haut-bas, terre-ciel ; tout positionnement est rompu.
Patrick Coquelin ne répond pas seulement au mystère de l‘abîme ou de l‘être, sinon à la question de la surface.
Absolu ou relatif, temps et espace, se dissolvent dans la continuité de la toile.
Le noir présage de la nuit.
Les formes ne sont que signaux qui guident le spectateur. Horizontales ou verticales, elles naissent de la face cachée de la toile pour revenir à la surface. Elles servent simplement à fixer l‘infini dans la surface ainsi proche de la toile (et au coeur du vide).

Susana Sulic, 1996


Zuzana Hulka

Née à Zlín (Gottwaldov) en 1951

La peinture de Zuzana Hulka n‘a rien de narratif ni de descriptif. Un tableau se présente comme un tout qui unifie un tumulte de couleurs, de lignes et de marques. Dans sa lutte mallarméenne avec la toile blanche, Zuzana Hulka arrive à un absolu pictural par la seule vertu de la couleur et d‘un graphisme dont l‘apparente liberté cache une rigueur qui ne doit rien au hasard.
La gestuelle apparemment débridée est en fait parfaitement contrôlée et déployée avec circonspection. Il lui est aussi difficile d‘apposer un bleu ou un rouge qu‘à Cézanne d‘achever le col de Monsieur Vollard.
Il s‘agit, en fait, d‘un contrepoint quasi musical entre les couleurs, élaboré dans le silence de l‘atelier après de longues contemplations du travail en cours, et des rêveries où le bleu du ciel, le temps qu‘il fait, le ton des acacias ont leur mot à dire.

Robert Laurent Fantoba, 1991


Guy Le Meaux

Né à Hennebont en 1947

Je suis un peintre figuratif. Mon seul but est de figurer.
C‘est le même sujet, mené pendant des mois sur des supports différents. Une oeuvre est en chantier, qui passe parfois par le crayon.
Le dessin est à l‘origine et contient en puissance la peinture. La peinture n‘est viable que si elle est sécrétée par le dessin : il la crée et il l‘expulse. L‘une contenant l‘autre, ils ne sont pas séparables ; ils participent d‘un même mouvement, de la même origine. Les penser en les dissociant, voire en les opposant, est pour un peintre courir à sa perte. Delacroix, parlant de Rembrandt et de Poussin, écrit : «Les premiers linéaments par lesquels ils commencent leurs tableaux contiennent tout». Du Titien à Barnett Newman le dessin est au c›ur de la peinture.

Guy Le Meaux, 1991


Raymond Perget

Né à Paris en 1925

La peinture de Raymond Perget est de celles qui, venues du figuratif, s‘organisent autour d‘un équilibre sensible et s‘inscrivent dans un espace humain, un espace de liberté. Loin de tout système pictural son unique tendance se retrouve souvent, au fil du temps, dans un processus de délimitation de l‘espace créatif dense, inscrit dans celui que la toile vierge lui impose. Ainsi, dans le cadre de cette délimitation, est proposée une vision de l‘élément central comme observé au travers d‘une fenêtre ouverte. La construction de l‘oeuvre ne s‘organise jamais en quadrillage, mais plutôt en une sorte de structure en grille.

Patrick-Gilles Persin, 1990


Xavier Ribot

Né à Oisseau-le-Petit en 1957

L‘art est un produit cérébral au contact des mains et des yeux, ses idées portent l‘homme et le sollicitent de tout son être. Malheureusement, je vois parfois des regards blasés pour qui tout se succède sans convaincre largement ; ont-ils été jamais sensibles ? Rester simple. Nous avons appris à goûter les matériaux, les monochromes, les situations, les références... Je n‘ai rien à faire croire à ceux qui me regardent, mais qu‘ils sachent opérer des raccourcis du monde, des jeux de vues, des inspirations d‘atelier... Je donne forme à du visible parce qu‘il y a souvent un écran dans nos souvenirs, mais je limite mes interventions à quelques données, souvent au singulier : quelle couleur, quelle structure, quel matériau... J‘ai le sentiment de résoudre des problèmes à forte charge esthético-émotionnelle dont les lendemains attendent un peu de lyrisme pour reprendre la fête.

Xavier Ribot, 1991


Jean-Claude Tardivo

Né à Villedomer en 1935

Tout existe déjà. Il n‘y a pas de créateurs et nous devons en toute humilité accepter notre rôle d‘intermédiaire.
Tout est déjà là, pêle-mêle, comme dans une décharge où l‘ordre défait aide les mémoires abandonnées à reconstituer un territoire inexploré, un semblant d‘inexistant. C‘est à cet endroit que nous nous trouvons tous.
Pour nous transporter dans l‘action de notre temps, c‘est par notre propre individualité chargée de tous nos actes déraisonnés que nous devons réinventer notre chemin, dans l‘absence absolue de toute justification.

Jean-Claude Tardivo, 1994


Collectionner l‘art de notre temps est, pour mon époux et moi-même, une passion partagée depuis près de vingt-cinq ans. Comme toutes les passions, elle est dévorante, boulimique et irrationnelle... Nous passons le plus clair de notre temps libre à sillonner les galeries, musées, expositions et ateliers d‘artistes, en France et à l‘étranger.
Nos achats se font toujours sur des coups de coeur, partagés la plupart du temps, ce qui peut sembler étonnant quand on sait l‘éclectisme de nos goûts et, partant, de notre collection. Bien souvent, indépendamment l‘un de l‘autre, dans une exposition ou une galerie, nous sommes irrésistiblement attirés - magnétisés, pourrait-on dire - par la même pièce. Inutile de dire que, dans ces conditions, le passage de la pulsion à l‘acte - l‘achat - ne suscite guère de discussion ni de querelle de ménage... Chacune des pièces de notre collection est porteuse d‘une histoire, d‘un souvenir, d‘une émotion qui reste souvent intacte, même après deux décennies. Aussi, dans ces conditions, pas question de nous séparer de la moindre pièce en la revendant, ce serait une forme de reniement ou d‘amputation...
Comme la plupart des collectionneurs, nous sommes donc confrontés au problème de l‘espace pour accrocher ou présenter nos acquisitions. Contrairement à une idée reçue, collectionner l‘art contemporain n‘est pas une passion ruineuse pour qui se laisse guider par sa sensibilité et non par des considérations spéculatives vouées à l‘échec, du moins du vivant du collectionneur. Ses héritiers parfois... Mais c‘est une autre histoire... En revanche, acquérir l‘espace permettant la présentation et la conservation de sa collection peut devenir une source de ruine pour le collectionneur... Par deux fois déjà, en vingt ans, nous avons été amenés à nous livrer à des investissements immobiliers avec pour motivation essentielle l‘accès à plus d‘espace de cimaise ou de stockage pour nos tableaux et sculptures.
Quand il m‘a été proposé une carte blanche à la Galerie du Haut-Pavé - dont le travail remarquable pour promouvoir le travail de jeunes artistes se prolonge maintenant depuis près de cinquante ans - j‘ai été prise d‘une sorte de vertige. Comment choisir ? Qui ? Quel critère ? Très vite a germé en moi l‘idée de demander à quelques artistes dont des pièces figurent dans notre collection de présenter des travaux en contrepoint à une de leurs oeuvres en notre possession.
Le plus dur a été de choisir parmi les huit cents pièces de plus de deux cent cinquante artistes... Huit noms ont fini par s‘imposer par un processus que je serais bien en mal de décrire. Ce ne sont pas nécessairement ceux des artistes les plus représentés dans notre collection, ni de ceux qui y sont rentrés récemment. À vrai dire, je serais bien en mal de trouver une quelconque logique à leur cohabitation, pendant deux semaines dans les locaux de la Galerie du Haut-Pavé.
Voilà donc deux sculpteurs et six peintres, que rien ne prédestinait à se côtoyer, réunis par l‘arbitraire d‘un choix que la raison raisonnante ne peut pas expliquer et encore moins justifier. C‘est donc avec gratitude que je les remercie d‘avoir accepté spontanément, dès la première sollicitation, cette invitation, prenant le risque d‘un voisinage qu‘ils ne maîtrisaient pas.
Ainsi, vous pourrez découvrir les paysages chatoyants et chaleureux de Raymond Perget, le sage qui, depuis des années, répète en le variant à l‘infini le portrait de son cerisier et ne laisse que rarement sortir des toiles de son atelier de Meudon, les bois subtils et sensuels de Frantz Absalon, l‘Antillais qui trouve son inspiration et son matériau dans les rues de Paris, les personnages massifs et falots, mais combien attachants, de Jean-Claude Tardivo dont l‘atelier est perché près de la place des Abbesses à Montmartre, les innovations formelles et techniques du Rennais Xavier Ribot qui manie les matériaux les plus ingrats avec un bonheur qui m‘étonne toujours, les sculptures géométriques mais voluptueusement colorées et souvent dérisoires de Jean-Philippe Baudry, les compositions rigoureuses de Patrick Coquelin, à l‘opposé de son tempérament bouillonnant et jovial, les explosions colorées, mais parfaitement maîtrisées, de Zuzana Hulka, la Morave qui a adopté Paris depuis près de vingt ans, les compositions somptueuses et sensibles de Guy Le Meaux, Breton du Morbihan dont les travaux font souvent référence à un autre Finistère, celui de la péninsule ibérique...
Que soient encore remerciés ces huit artistes pour avoir si gentiment accepté le risque de cette confrontation. Quant à vous, visiteurs, je formule le voeu que vous preniez autant de plaisir à voir ces travaux que j‘en ai eu à les découvrir et en ai encore, chaque jour, à les redécouvrir...

Annick Doucet, novembre 2000

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