Marine Duboscq

over

du 4 novembre au 2 décembre 2010


Marine Duboscq

Née en 1971
Vit et travaille à Paris et à Montreuil
06 62 82 51 38
marineduboscq@hotmail.fr
marineduboscq.fr
Diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2001.
Expositions personnelles
2010Galerie La Diagonale, Rome
Galerie du Haut Pavé, over, Paris
2007Le Jour de la Sirène, sur une invitation de Christophe Cuzin, Paris
Expositions collectives
2010Trois, Galerie La Diagonale, Rome
2009Un cabinet de dessins, Galerie Réjane Louin, Locquirec
2008Novembre à Vitry, Galerie municipale de Vitry
2007La Sirène, La Générale en manufacture, Sèvres
Le rendez-vous du Quai, Galerie de l’Ecole d’Art Gérard Jacot, Belfort
2006Les rendez-vous du Quai, Galerie Les Bains-Douches de la Plaine, Marseille
2004Paysages contemporains, Maison des Arts, Bagneux
Paysages II, Galerie Pitch, Paris
Traversées du paysage, Galerie de l’Ecole d’art Gérard Jacot, Belfort
2003Novembre à Vitry, Galerie municipale de Vitry
2002Novembre à Vitry, Galerie municipale de Vitry
2000Rallye is not F2, La Caserne, Cergy-Pontoise
1999Rallye is not F1, La Garsouille, Caen
Bibliographie / Catalogues collectifs
2010Trois, textes de Leslie Compan, catalogue édité par Diagonale/galleria à Rome, mai 2010
2007Le rendez-vous du Quai, textes de Philippe Cyroulnik, co-édité par l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et Le 19, Centre régional d’art contemporain, juin 2007
2004Paysages contemporains, Maison des Arts, affaires culturelles de Bagneux
Traversées du paysage, textes de Philippe Cyroulnik, Le 19, Centre régional d’art contemporain, mars 2004, avec le soutien du ministère de la culture et la Drac de Franche-Comté
1999Rallye is not F1, brochure, édition station Mir, avril 1999

Marine Duboscq

Marine Duboscq

Marine Duboscq

Marine Duboscq

Marine Duboscq

Marine Duboscq

Marine Duboscq

Marine Duboscq


Marine Duboscq aime le danger. Marine Duboscq prend des risques. Marine Duboscq joue à l’acrobate fildefériste sur une étroite ligne de crête, une mince arête entre deux gouffres où maints artistes ont perdu leur âme. À sa droite, les leurres et l’abîme du kitsch coloré, avec strass et belles matières décoratives : le bling-bling de l’art, pour utiliser une expression d’actualité. Certains peintres s’y sont aventurés avec succès, comme Jean Messagier, beaucoup n’en sont pas toujours ressortis indemnes. À sa gauche, les sirènes de l’ascèse d’une ligne pure, décharnée, parfois signifiante et riche, comme chez Ève Gramatzki ou Olivier Michel, le plus souvent stérile, formelle et lassante. Quelques rares artistes ont su se maintenir à égale distance de ces deux écueils pour tracer une voie originale et personnelle : Raoul Dufy, par exemple, qui évoquait la subtile et fragile difficulté de l’exercice en le comparant à celui du diplomate : « Manier des couleurs et des lignes, n’est-ce pas une vraie diplomatie, car a vraie difficulté c’est justement d’accor­der tout cela. » Marine Duboscq est du nombre de ces diplomates de l’art. Et le résultat de ses négociations, exemptes de toute com­promission, nous convainc pleinement.
Si l’on se réfère aux propos de Delacroix, dans son Journal, la tension, la négociation dialectique ligne-couleur, se réduit à une opposition entre intelligence et sensibilité : « La couleur est par excellence la partie de l’art qui détient le don magique. Alors que le sujet, la forme, la ligne s’adressent d’abord à la pensée, la couleur n’a aucun sens pour l’intelligence, mais elle a tous les pouvoirs sur la sensibilité. » Devant une œuvre de Marine Duboscq, c’est d’abord la sensibilité, la corde de la sensualité, qui sont sollicitées. Ses peintures et ses dessins sont colorés, non pas de ces teintes neutres et passe-partout de la peinture dite « sérieuse », mais par des explosions, presque obscènes, de roses, de verts, de bleus, de jaunes qui évoquent les papiers peints pour les chambres d’enfants, les emballages de cadeaux de Noël, ou les provocations rétiniennes de certaines publicités ou des tags qui fleurissent sur les murs de nos cités. On pense aussi à ces papiers marbrés au revers des couvertures de reliures anciennes. Le risque de sombrer dans le mauvais goût, dans le kitsch ou dans un rétro hors de saison est permanent, mais Marine y échappe, non pas par des pirouettes, mais par un travail bien ancré dans la tradition de la peinture du XXe siècle. On est dans l’esprit et la lignée des monochromes d’Yves Klein, qui n’hésitait pas à les contrepointer avec des feuilles d’or. Gerhard Richter s’est aussi aventuré, avec bonheur, sur ce terrain quelque peu miné.
Marine Duboscq revisite et réactualise le monochrome en recourant à la technique industrielle de la bombe aérosol. Les inégalités de densité de la couleur confèrent à la surface un aspect duveteux, fragile et sensible qui brouille les pistes et laisse le spectateur perplexe : sa raison rejette le tout en bloc mais ses sens se délectent. On est dans la logique du fruit défendu, dans l’opposition du « bien » et du « bon », du « beau » et du « raisonnable ». Ses couleurs font succomber à la tentation d’un « mal » ou « mauvais » esthétique, tout en suscitant un « bien » et un « bon » qui ravissent les sens. On est, ici, à rebours de certaines démarches plastiques, notamment celles de l’Arte Povera, qui visent à la sacralisation du « laid » pour en faire un « bien » esthétique. Marine Duboscq désacralise la couleur, la banalise, la libère, brise les tabous du « plastiquement correct » pour donner libre cours à des épanchements d’une sensualité jusqu’alors bridée par les conventions. On est dans le registre de l’orgiaque, à la façon dont, il y a un peu plus d’un siècle, les Fauves et les Orphiques ont brisé le carcan des modèles coloristes qui prévalaient alors, même après la révolution impressionniste. De ce point de vue, la pratique coloriste de Marine Duboscq relève d’une philosophie – d’une théologie, pourrait-on dire – régressive, d’un renversement des valeurs communément admises. Malgré leur aspect de vitraux d’une cathédrale inondée de lumière, ses œuvres rendent un hommage au démon de l’art, à la manière dont certains musiciens ont su exploiter le triton – cette quinte diminuée, imparfaite, irrésolue – que les anciens désignaient sous le nom de diabolus in musica. La couleur, chez Marine Duboscq, c’est le diabolus in pictura. Si elle se confinait dans un propos purement coloriste, Marine Duboscq susciterait déjà un intérêt pour sa démarche transgressive. Mais elle va bien au-delà. Elle cultive aussi la ligne. La ligne horizontale, féminine, par opposition aux verticales, réputées masculines. C’est aussi la forme du corps allongé, couché, celui auquel Platon donnait un rôle de passeur, de thaumaturge : « Tout corps couché prend la ligne de l’horizon de l’âme. L’endormi devient le réveillé de l’om­bre. » Tahar Ben Jelloun, dans L’Auberge des pauvres, évoque aussi la quête de cette frontière, ligne de passage, de porosité, membrane dialytique hémiperméable : « On est tous à la recherche d’une frontière, une ligne claire entre le rêve et la réalité. »
Chez Marine Duboscq les œuvres sont simultanément composantes de lignes et composées de lignes. Ses installations désignées sous le nom de Lignes sont constituées de petites toiles oblongues – horizontales – et carrées, presque monochromes, juxtaposées bord à bord, pour former une frise colorée sur les murs, à hauteur d’œil ou au niveau du sol. Elles épousent le contour de la pièce et se referment sur elles-mêmes, comme pour nous rappeler que toute droite n’est jamais qu’un fragment d’arc de cercle. On pense aussi aux Lignes d’Aurelie Nemours et à leurs variations chromatiques. La différence essentielle entre la cadette et son aînée tient cependant dans l’absence de volonté didactique et dans le refus de tout esprit de système, chez la plus jeune. Ses lignes ne déclinent pas l’évolution de la palette chromatique de l’arc-en-ciel, ne revendiquent aucune logique apparente, si ce n’est la fantaisie de l’artiste et sa volonté d’affirmer la présence du concept « couleur » pour lui-même, sous la forme paradoxale d’une ligne sans fin mais non infinie, car refermée sur elle-même. On est aux antipodes, donc, du cercle chromatique cher à Newton, Boutet, Chevreul et aux néo-impressionnistes.
Les lignes se retrouvent aussi au sein de la peinture de Marine Duboscq, dans chacun des surfaces colorées, toile ou dessin. Elles peuvent prendre la forme d’horizontales parallèles, griffées à la mine de plomb dans la surface colorée, comme des vagues, des enregistrements sismographiques ou des sillons dans une terre grasse. Elles peuvent devenir sinueuses et entrelacées, abandonnant pour un moment la féminité de l’hori­zontale pour s’ériger en mâles verticales, mais toujours dans les limites d’un format plus large que haut. Ailleurs, les lignes se réduisent à des signes plus ou moins denses qui émergent de la couleur ou la dominent, écritures dans une langue improbable sur et sous la couche colorée. Nous sommes face à des palimpsestes qui conservent les strates d’histoires anciennes successives que la couleur nous incite à croire heureuses. Dans d’autres feuilles, enfin, les lignes n’appa­raissent plus que comme des réserves blanches, presque fantomatiques, dans la plage colorée. Dans tous les cas, les motifs répétés ne s’arrêtent pas aux frontières de la feuille ou de la toile. Ils constituent le module de base d’un all-over que le spectateur réplique mentalement à l’infini, pour combler le champ visuel de son œil intérieur. Tout nous porte à penser que ces lignes de traverse ne résultent d’aucun hasard, mais d’une démarche matérialisant une pensée formelle exigeante, comme le prescrit Nicolas Poussin : « De la main du peintre ne doit sortir aucune ligne qui n’ait été formée auparavant dans son esprit. » Au spectateur d’essayer de comprendre, de rentrer dans l’univers de l’artiste, de répondre à son intelligence par sa propre intelligence. Et pour ceux qui réfutent l’arabesque, les lignes courbes et les plus longues distances entre deux points, laissons le mot de la fin au dada Clément Pansaers qui, écrivait, en 1921 : « Devient gaga, celui qui trace sa trajectoire en ligne droite. »

Louis Doucet, octobre 2010

index