Camila Oliveira Fairclough

du 6 mars au 7 avril 2007


Camila Oliveira Fairclough

Née le 13 décembre 1979 à Rio de Janeiro
Nationalités brésilienne et britannique
Vit en France depuis 1999
278 rue des Pyrénées
75020 PARIS
camilolive@hotmail.com

Formation
2005Diplômée de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, avec les félicitations du jury à l'unanimité
1999Entrée à l'ENSB-A
1998-99PUC-Rio / Communication visuelle et projet de produit
1996-99École des Arts Visuels du Parque Lage / Rio de Janeiro
Expositions/Prix
2007Musée d'Art et d'Histoire-Hôtel Beurnier-Rossel / Montbéliard
Galerie du Haut-Pavé / Paris
Orthodoxe/Hétérodoxe : choisir sa ligne / Le 10neuf, Centre régional d'art contemporain de Montbéliard
2006Prix de peinture Albéric Rocheron
Kaléïdoscope / ENSB-A / Paris
Galerie Pitch / Paris
De l'image à la forme / Le 10neuf, CRAC-Ecole d'art de Belfort / Exposition organisée par Philippe Cyroulnik.
Galerie Les Bains Douches / Marseille / Exposition organisée par Philippe Cyroulnik
La Fabrique du dessin / ENSB-A Paris / Exposition organisée par François Bouillon, Dominique Figarella et Valérie Sonnier
2005Plein-Pots / La Générale / Paris
Novembre à Vitry / Salon de peinture de Vitry-sur-Seine
Première Vue / Passage de Retz / Paris
2004Heartgalerie / Paris / Exposition organisée par David Rosenberg
2003Stade de France / Fondation Culturelle Italo-Svedese / Exposition organisée par Jean-Marc Bustamante à l'occasion de la Biennale de Venise
Valse / Musée Zadkine / Paris / Exposition organisée par Bernard Piffaretti, Sylvie Fanchon, Dominique Figarella et l'École des Sciences Politiques (Paris)
1999Coletiva / Solar Grandjean de Montigny / Rio de Janeiro
1998EAV-Escola de Artes Visuais Parque Lage / Rio de Janeiro / Exposition organisée par Nelson Leirner
Publications
  • De l'image à la forme / Le 10neuf / Philippe Cyroulnik / 2006
  • Kaleïdoscope, Diplômés 2005 avec les Félicitations du Jury / Ensba éditions / Paris, mai 2006
  • La fabrique du dessin / École Nationale Supérieur des Beaux-Arts de Paris / Ensba éditions / Paris, 2006
  • Les Cahiers N°2 / 2006 / Le 10neuf / Centre Régional d‘Art Contemporain, Montbéliard
  • Marseille l'hebdo / avril 2006

Z
Z, 2006, acrylique sur toile,182x130

R. D.
R. D., 2006, acrylique sur toile 60x80

Rock
Rock, 2006, acrylique sur toile,110x110

Tête-bêche
Tête-bêche, 2006, acrylique sur toile, 116x89

Vouloir confiner le travail de Camila Oliveira Fairclough dans la boîte soigneusement étiquetée "art construit" relève, au mieux, de la paresse intellectuelle, au pire de la cécité. Si l'on prend ce terme galvaudé dans le sens restrictif et précis que Mondrian lui a donné, le travail de Camila est hérétique : elle abuse des obliques, utilise les courbes, bannit les couleurs primaires et, comble du sacrilège, recourt même au vert et à des couleurs que l‘on pourrait qualifier de naturalistes.
Si on le prend dans le sens plus général d'une architecture plus ou moins visible, plus ou moins sous-jacente, qui structure la composition il ne signifie plus rien. Quelle peinture, en effet, n'est pas construite ? Même les oeuvres de Pollock - et je pense, par exemple à Blue Poles -, dans leur gestualité effrénée, sont fortement charpentées... Construites...
Si l‘on se rallie à une définition floue et mouvante, qui combine des formes géométriques, une économie des couleurs et la recherche d'une certaine forme de minimalisme - définition qui inclut aussi bien un zip de Barnett Newman que la Porte-fenêtre à Collioure de Matisse - le travaille de Camila y échappe aussi.
Pour entrer dans son travail et tenter d‘en comprendre la saveur inédite et délicate, il faut donc s'affranchir des cadres historiques et de la volonté taxonomique qui ne servent souvent que de prétexte à un "refus d'obstacle" du regard, à une esquive devant ce qui interpelle, devant ce qui remet en cause les catégories confortablement prédéfinies et dispensent d'ouvrir les yeux, de s'ouvrir soi-même aux remises en cause esthétiques qui surgissent de l'observation de ses oeuvres.
Premier constat, la peinture de Camila Oliveira Fairclough est latino-américaine, malgré son second patronyme très british. Cela se sent essentiellement dans sa palette de couleurs. Tout d'abord, parlons de non-couleur, à savoir du fond de ses toiles, toujours blanc, d'un blanc qui évoque non pas la virginité d'une feuille de papier, mais plutôt les murs passés à la chaux que le soleil et les intempéries auraient ternis et qui laissent deviner, sous plusieurs épaisseurs d'enduit, des couleurs plus vives que le temps et le travail des générations successives ont contribué à effacer. On pense irrésistiblement aux fonds blancs de certaines compositions de l'Uruguayen Torres Garcia.
De fait, ce que j'appelle ici «fond» n'est pas un fond au sens strict, puisqu'il s'agit de la toile brute, vierge. Camila les choisit ni jaunes ni beiges ni grises. Elle les choisit sans tonalité dominante pour cultiver une ambiguïté sur l'essence réelle de ces fonds qui n'en sont pas.
Sur ces supports, déjà riches et sensuels, Camila use des couleurs assourdies qui caractérisent un grand nombre des artistes sud-américains. Elles sont primaires, dans leur essence, mais ont été insidieusement altérées par des adjonctions d‘ocres, de façon à donner l'illusion d'une usure par le temps et par une trop longue exposition aux rayons du soleil. Cette palette chromatique constitue, à mes yeux, la signature quasi exclusive du continent sud-américain. Ce sont elles qui irradient dans les oeuvres de Bolivar, Arden Quin et les "madistes" mais aussi chez Tarsila Do Amaral et chez la quasi-totalité des artistes brésiliens, toutes tendances et époques confondues. Il n'y a que des sud-américains pour recourir à ces violets saturés et denses, à ces verts qui n'ont rien des pâturages ni de la végétation européens, ou de ces orangés qui évoquent plus les outrages du temps et la fatigue que la prétentieuse turgescence du citrus sinensis.
Ces couleurs ne sont pas posées sur le support, mais en émergent, laissant, à la limite entre les zones de couleur et de non-couleur une plage incertaine, bien qu'infime, où un flou voulu et savamment ménagé donne l'impression que les surfaces colorées ont poussé la gangue, mues par une pulsion presque génésique, à la manière dont, au printemps, les champignons frayent leur chemin vers la lumière à travers la croûte ocre du sol. Mais on peut aussi imaginer que l'érosion de la surface du mur fait apparaître les peintures sous-jacentes, un peu à la manière dont les crépis de certaines églises romanes bretonnes, peuvent révéler, quand on les gratte délicatement, des fresques que l‘évolution du goût, la pudeur ou la rigueur religieuse d‘un temps ont vouées à la disparition.
Nous sommes en face d'un découpage ambigu qui se manifeste pourtant par des formes affirmées, invoquant leurs limites cachées, repliées entre couleur et réserve, et générant deux plans de lecture, unifiés dans l'unité d'un même espace déterminé et délimité, le tableau... Camila : "Le contraste important pour moi n'est pas tant celui entre figure et fond que celui entre peint et non-peint. Cette réserve est là aussi pour montrer la matérialité de la peinture. Parfois la réserve isole le motif, parfois le motif vient isoler la réserve. Chacun de mes tableaux est construit sur ce rapport peint - non-peint".
La surface des oeuvres de Camila se comporte donc comme une sorte de palimpseste, porteur de plusieurs strates. Ces strates ne correspondent pas aux étapes successives de la réalisation de l'oeuvre, mais relatent une approche mentale de l'acte de peindre, une sorte de relecture, à la mode du XXIe siècle, du "pittura è cosa mentale" de Vinci. Mais attention, pas de complaisance ni d'attendrissement, pas plus que de nostalgie, dans le propos de Camila, mais une volonté clairement affirmée, étonnante chez une artiste si jeune, de dépasser le cadre étroit des discussions auto-réflexives sur la peinture, sur son rôle, son objet et sa mort programmée depuis quelques décennies par quelques pisse-froid que la mort mentale a déjà saisis, en attendant celle, encore plus inflexible de l'Histoire.
Les formats des toiles de Camila sont à l'échelle du corps humain. Celles de format vertical, posées au sol, apparaissent comme des portes ouvertes vers l'extérieur. Les horizontales, accrochées à hauteur des yeux, sont autant de fenêtres qui permettent de s'échapper de l'espace dans lequel elles sont présentées.
Le non-peint de la toile fait ressortir le mur d'exposition. Il en change la fonction en le ramenant à son rôle contraignant de limiteur d'espace vital, de contrainte spatiale et temporelle. La toile joue alors, par sa seule présence, un rôle d'exutoire, de contrepoids aux limitations et contraintes inhérentes à la condition humaine, d‘invitation à un voyage tout aussi physique que mental :
Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, d'hyacinthe et d'or; Le monde s'endort Dans une chaude lumière.
Cette "chaude lumière" baudelairienne, elle est au centre de la peinture de Camila, elle en constitue l‘essence. Son oeuvre se situe au noeud de subtiles oppositions dialectiques entre ce qui est peint - le motif - et ce qui ne l'est pas - le mur et le support de la toile -, entre les formes colorées - mais qui ne veulent pas le revendiquer - et leur support incolore - mais qui suggèrent une ancienne coloration enfouie -, entre paysage réel, révélé par des formes parfois reconnaissables, et abstraction sans références au monde réel, entre réalité physique et appropriation mentale, entre sensualité réfrénée et épanchements libres... Bref, au coeur de la vie, de la vraie vie...
Camila Oliveira Fairclough pose donc, en des termes limpides, l‘éternelle question du sens de l'espace et de ses relations avec le corps humain. Elle évacue l'approche aristotélicienne selon laquelle l'espace et le lieu sont conçus comme enveloppe du corps et non comme le corps lui-même, comme une place définie dans un monde immuable. Elle écarte aussi l'espace absolu de Newton, attribut de Dieu, existant en soi indépendamment de la matière, comme cadre de référence permettant d'ordonner et de coordonner des objets séparables. Camila penche pour l'approche épistémologique chère à Kant, selon qui l'espace "forme a priori de la sensibilité" ne préexiste pas à l'homme et aux choses. Pour Camila comme pour le sage de Königsberg, l'espace, comme le temps, tire son existence d'une relation réciproque des choses et des hommes. C'est cette réciprocité qu'elle met en scène de façon intuitive, sans ostentation mais avec détermination.
Le paradoxe est d'arriver à exprimer cette notion tout en se restreignant à une surface bidimensionnelle sans faire appel aux tricheries de la perspective. Pour y parvenir, Camila recourt à des formes fortement connotées, des sortes d'idéogrammes déjà saturés de sens. Ainsi, l'aileron de Rock, indépendamment de tout contexte, porte en lui toute une charge de craintes ancestrales.
Le grand Z de la toile intitulée Z n'a rien à voir avec la signature d'un quelconque Zorro. Elle évoque les dispositifs de renfort au dos des volets en bois, invisibles quand les volets sont fermés mais exposés quand ils sont ouverts. Dans certaines régions de France, ils sont peints comme sur la toile de Camila. J'ai même en mémoire une maison de Bretagne, en bordure de mer, où ce Z a bercé ma prime enfance, signe que les fenêtres étaient ouvertes. Quand le Z disparaissait, les vacances étaient terminées, la fenêtre hermétiquement close. Un autre spectateur-lecteur y verra autre chose, un Z ou pas de Z du tout. Une des richesses du travail de Camila réside dans cette polysémie, de cette ambiguïté, dont la seule fin n'est que de signifier la peinture en tant qu'elle-même.
Dans une autre toile, une frise dans les couleurs ocrées évoque la silhouette d‘un bâtiment industriel, d'une usine, à la façon de certaines oeuvres de Malevitch, mais plus encore dans la descendance directe de certaines sérigraphies contestataires qui fleurirent sur les murs parisiens en mai 1968. En soulevant délicatement la pellicule, on pourrait presque donner corps à un des slogans d‘alors : "sous les pavés, la mer".
Dans R. D. - un hommage au peintre néerlandais René Daniëls -, la fausse perspective en forme de noeud papillon ne débouche pas sur une impasse mais ouvre sur un écran rouge, incongru dans ce contexte, que nulle nécessité n'impose, si ce n‘est celle de remettre la nécessité elle-même en cause et de suggérer au spectateur d'y substituer l'image de ses propres fantasmes ou pulsions. Le motif figuratif d'une salle d'exposition en perspective devient prétexte à un développement qui s'affranchit des références réalistes pour poser et reposer la seule question de la peinture en tant que moyen et fin. Camila reconnaît d'ailleurs facilement l'influence de certains Nord-américains, et notamment de Noland et de Louis, dans leur façon de mettre ce questionnement au centre de leur propos.
Tête-bêche évoque la béance, une sorte de bouche gigantesque, comme le caractère chinois _ qui sert, notamment, à exprimer le concept de fenêtre : __. Et la boucle est bouclée... On en revient aux fenêtres et à l'observation d'un autre, extérieur au lieu clos de la monstration de la peinture.
On le voit, la peinture de Camila Oliveira Fairclough pourrait presque être qualifiée de naturaliste. Non pas un naturalisme de surface, qui s'attacherait à pérenniser une quelconque anecdote, une situation passagère ou un paysage fugace par essence, mais un naturalisme plus essentiel, plus ontologique, qui ne serait que la "forme a priori de la sensibilité", si chère à Kant.
Il s'agit, ici, de la sensibilité propre à chaque spectateur. La peinture de Camila fournit un cadre général, une démarche à suivre, une sorte d'ascèse de la découverte, une méthode efficace permettant au spectateur qui veut bien en faire l'effort d'ouvrir une porte sur sa propre sensibilité, sur sa façon d'appréhender l'univers dans lequel il se meut. Un exemple s'impose à moi, celui de Judith, non pas la jeune veuve de Béthulie qui décapita Holopherne, mais la compagne de Barbe-bleue dans A Kékszakállú herceg vára de Bartók. C'est elle qui force le héros à ouvrir successivement ces sept portes qui ne sont que celles de l‘âme de son compagnon, masquant puis révélant les secrets de son inconscient et, partant, d'une bonne fraction de la partie masculine de notre humanité.
Vue sous cet angle, la peinture de Camila Oliveira Fairclough relève de la maïeutique telle que Platon la rêvait. Elle ouvre des fenêtres et des portes dans la caverne où se joue le drame de notre condition humaine. Elle n‘est donc pas peinture mais méta-peinture. Elle est à la peinture ce que la métaphysique est à la physique, passage du sensible au suprasensible, comme science rationnelle par concepts purs a priori.
Mais ce qui reste le plus important aux yeux de Camila, c'est de continuer à faire de la peinture comme elle le revendique haut et fort : "histoire à laquelle on fait suite, s'inscrivant plus ou moins dans cette zone d'influence, les tableaux font voir cette inscription qui a lieu sur un mode à la fois frontal et elliptique, reconnaissance qui est l'essence même de l'acte de peindre (mémoire)".

Louis Doucet, février 2007

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