Vincent Gagliardi

Papiers et volumes

du 20 mai au 7 juin 1997


Vincent Gagliardi


né en 1957 à Algrange
atelier : 5 rue du Poids du Roi
41000 BLOIS
02.54.78.63.20

Expositions personnelles (sélection)
1995L‘esprit de la petite histoire, Institut Français, Stuttgart
Une maladie heureuse, Galerie Cour Carrée, Nancy
Penderies, Kunstverein, Schloß Solitude, Institut Français, Kunststiftung Baden-Würtemberg et Staatsgalerie de Stuttgart
1996Pendu(e) par la timidité, Galerie Simoncini, Luxembourg
La boxe de la raison, Galerie Koma, Mons, Belgique
Chacun transporte sa propre étoile, Galerie Arte Coppo, Verviers, Belgique
1997Galerie Cour Carrée, Nancy
Galerie du Haut-Pavé, Paris
Expositions collectives (sélection)
1995Mail Art, Beim Engel, Luxembourg
Hommage à Marcelle Cahn, Galerie du Faisan, Strasbourg
Confrontations, Galerie Simoncini, Luxembourg
Sélest‘art dans la ville, Sélestat
Foire de Stockholm, Galerie Akié Arichi
1996Bon débarras, Musée du Barrois, Bar-le-Duc
Collection, U. L. B., Bruxelles
Petits formats, Galerie Simoncini, Luxembourg
Collections d‘été, Médiathèque, Nancy
Sculptures, Galerie Simoncini, Luxembourg
1997Foire d‘Innsbruck, Galerie Cour Carrée
Espace usine, Bruxelles
Galerie Simoncini, Luxembourg
Foire de Strasbourg, Galerie Cour Carrée
SAGA - FIAC Éditions, Paris


Sans titre, 1997
Sculpture Balatum, 145 x 70 x 6 cm


Les colonnes de Vincent Gagliardi
I. Ce sont des colonnes, piliers ou pilastres du monde devenus colonnes errantes. Elles sont revêtues de balatum (matériau vulgaire), mais surtout noires, resplendissantes de noir, d‘un noir qui semble lisse à l‘oeil, mais qui se révèle rugueux au toucher. Elles errent dans l‘espace selon les lois d‘une géométrie secrète. Pesantes et impondérables, inertes et pourtant articulées, elles s‘inventent de nouveaux sites. Elles sont à hauteur d‘homme.
II. Elles ne l‘étaient pas toujours. Sans épaisseur, elles étaient l‘enveloppe invisible des sols, leur face cachée, leur peau secrète scarifiée par le pas des hommes. Décollées, redressées, s‘exhibant comme matrices d‘empreintes, elles ont aspiré à une identité nouvelle, la monumentalité de la stèle. Mais elles se sont réifiées en colonnes qui, flottant dans l‘espace, arriment et dissipent le regard.
III. Elles pèsent légèrement. Colonnes donc, mais aussi socles qui se dédoublent, multiplient leurs fonctions, se résument à cette élévation vers la lumière. Mais celle-ci, quelle est-elle ? Rêve de la nuit, comme chez Pessoa ? Simulacre des choses dont elle emporte la forme et la couleur, comme chez Lucrèce ? Lumière qui dit l‘absence de toute lumière ?
IV. Les colonnes sont enfaîtées de chapiteaux baroques (plumet, assiettes, brosses, couverts) qu‘on peut retourner, enfouir entre les flancs de la colonne et ainsi dérober au regard. Ce n‘est pas seulement l‘objet qui ainsi se retire ; avec lui s‘éclipse sa représentation. Voilà pourquoi ce sont des colonnes de nuit et des nuits de colonnes, l‘extériorité en est au fond l‘intériorité, la présence en est l‘absence. Ce qu‘il en reste, c‘est la lumière négative qu‘elles irradient et qu‘elles happent tout à la fois.
V. Parfois les colonnes s‘ouvrent - brèche, faille, embrasure - et, comme des chrysalides se font paons de nuit, se métamorphosent en placards, fonds d‘armoire, coffres à deux battants, où se mêlent patères, chaussures, ustensiles, patrons pour costumes agrestes. Si l‘objet se réserve et cèle son secret, sa transfiguration plastique n‘en nie pas l‘usage. Ici, usage et plasticité se confondent, se rejoignent dans la gratuité et l‘inutilité de la forme.
VI. Celle-là (cette colonne) s‘est faite volontiers chaise à porteurs pour confondre, dans un même geste, les figures trines du peuple, du clergé, des nobles, résumées aux silhouettes ligneuses d‘ombres chinoises. Il n‘y a donc pas seulement des colonnes pour ordonner l‘espace, il y en a qui divisent le temps, l‘histoire, le drame qu‘elles emblématisent. Colonnes mnémoniques, elles sont les dépositaires de fractures sociales et politiques. En elles se manifeste l‘histoire autant qu‘elles s‘y inscrivent.
VII. Accrochons ce râtelier à la muraille et reconnaissons-y la sainte famille alignée comme des varlopes, des rabots, des guimbardes ; plaçons ici ce placard pour phylactères gravés de devises et de maximes à l‘avenant ; ouvrons cette colonne pour en extraire une batterie de cuisine ; osons encore quelques permutations, combinaisons, transmutations, translations. Surtout ramenons toute la métaphysique, et sa cohorte de concepts, à ces simples opérations de dénaturation et de renaturation. Autrement dit, resserrons-la dans le monde sensible, concret, matériel et, dans le même esprit, poétisons le monde.
VIII. Oui, il convient de se ressourcer à un réalisme qui ne dédaigne ni l‘anecdotique ni la banalité quotidienne, ni les accidents ni la contingence. Oui, il s‘agit de revenir à l‘usage déraisonné des choses, d‘y ajouter une note d‘espièglerie, un soupçon d‘hyperboles et d‘équivoques, voilà de quoi poétiser, car la poésie est une forme supérieure de réalisme.
IX. Quoi de plus normal que de voir une mosquée au lieu d‘une usine, quoi de plus conséquent que de transfigurer une colonne en boîte à secrets. N‘est-ce pas dire la vérité de toute colonne, la rendre à sa fonction sensible de cariatide du monde, la révéler à elle-même et à nous-mêmes ?
Cependant , il n‘y a pas de secrets ; ceux-ci ne sont toujours déjà que des secrets de polichinelle, et le monde n‘est qu‘un trompe-l'oeil.
X. Ainsi vont les colonnes. Ainsi va l‘homme. Au milieu de cette forêt de symboles. L‘observent-ils avec des regards familiers ? Ou n‘est-il pas plutôt lui-même colonne parmi les colonnes, colonne rédupliquée et pourtant singulière ? Le voilà projeté, comme elles, dans le temps et l‘espace, mais toujours ici et maintenant, partout et nulle part. Lumière de nuit et nuit de lumière.

Jean Sorrente, janvier 1996

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