Marion Jannot

Constructions privées

du 5 au 23 octobre 2010


Marion Jannot

Née en 1972
23 rue Nollet
75017 PARIS
01 43 47 21 35 / 06 01 81 07 40
marionj@hotmail.com

Formation
1999DNSAP, Félicitations du jury à l’unanimité, Ensb-a, Paris
1996Maîtrise de philosophie, mention bien, Université Paris-I, Panthéon-Sorbonne
2001-Professeur de philosophie
Expositions personnelles
2010Galerie du Haut Pavé, Paris
2007-09Le Ventre de la Baleine, Pantin
2007Fin de partie / Endgame, Galerie Ampersand, San Francisco
2006Next to nothing, Galerie Ampersand, San Francisco
2003-05Open studio, San Francisco
Expositions collectives
2010Répétition, La Générale en Manufacture, Sèvres
2009Rencontre n° 33, La Vigie, Nîmes
Mauvais genre, Galerie Petit Maroc, Saint-Nazaire
2007Tensions à quatre temps, Première station, Paris
2004Nuit blanche (lost in translation) – Part I & II, Galerie Ampersand, San Francisco & Paris
2001Salon d'art contemporain, Chelles, Commissaire : Eric Degoutte
2000Exposition des diplômés avec les félicitations du jury, Ensb-a, Paris, Commissaire : Jean-Louis Froment
1999Abstract propositions, Hunter College, New York
Carte blanche à Jean Fournier, Galerie du jour, agnès b, Paris, Commissaire : Jean Fournier
1998Ex-position, Ecole des Beaux-Arts, Marseille, Commissaire : Toni Grand
Va le faire voir, Ateliers de Pantin, Pantin
Bourses
1999Hunter College, Scolarship, New York, Séminaire : Robert Morris
1998Staatliche HS für Bieldenden Kunst, Scolarship, Francfort, Séminaire : Hermann Nitsch
1997Prix Perrier-Jouët, Résidence d’artiste, Epernay
Acquisitions
Collection Perrier-Jouët, Epernay.
Collection Clos de l’Eglise, Lalande de Pomerol.
Collections privées : France & Etats-Unis.

Marion Jannot
Proliférations

Marion Jannot
Proliférations

Marion Jannot
Vacuités

Marion Jannot
Constructions privées

Marion Jannot
Constructions privées

Marion Jannot
Claustrations

Marion Jannot
Claustrations

Marion Jannot
Claustrations


En 1953, Robert Rauschenberg, dans un geste iconoclaste, effaçait, avec l’aval de l’artiste, un dessin de Willem De Kooning, ne laissant subsister, sur la feuille devenue vide, palimpseste, que quelques signes imperceptibles. Cinq siècles avant notre ère, Melissus de Samos, le dernier des philosophes éléates, déclarait : « Rien n’est vide, car le vide n’est rien ; et ce qui n’est rien ne peut être. » Marion Jannot, dans ses travaux, renouvelle la réflexion sur la vacuité, non pas celle stérile que stigmatise Emmanuel Kant (« Des concepts sans matière sont vides. ») mais celle, porteuse d’un potentiel infini, que Georges Braque met en parallèle avec le silence (« Le vase donne une forme au vide, et la musique au silence. »)
Dans la série Vacuités, l’artiste investit l’angle de deux murs avec un dense réseau de fils de nylon, tendus et fixés aux murs par des clous de tapissier aux têtes très présentes. En première lecture, les fils ne sont visibles que par leurs points d’ancrage, dessinant des rectangles incertains dans les murs, et par leurs ombres, subtiles, presque évanescentes, portées sur les parois. Ce n’est qu’en deuxième lecture, après avoir pris conscience de la présence des fils par le biais de leurs accessoires, que l’on découvre des structures foisonnantes et complexes, dans la lignée des Contre-reliefs de Tatline ou de certaines sculptures filaires des frères Pevsner. Marion Jannot ne meuble pas le vide, elle ne le remplit pas. Elle le révèle, au sens où le développement d’un négatif photographique en fait apparaître l’image. Elle ne donne pas forme au vide, comme Braque l’évoquait, mais en fait prendre conscience par ce que le spectateur finit par ressentir comme une absence, un manque. Non pas une béance frustrante ou décourageante, ni une lacune qui demanderait à être comblée, mais, paradoxalement, une vacuité porteuse, révélatrice de plénitude. L’artiste renverse ainsi le propos de Kant : le vide devient, chez elle, substance, matière. Il est ici question de présence invisible révélée par un spectre, par un fantôme visible. Cette démarche me fait penser aux travaux des chercheurs en physique nucléaire, au milieu du XXe siècle, qui ne matérialisaient les particules que par la trace qu’elles laissaient dans une chambre à bulles.
Les Proliférations, elles, se déploient dans un espace bidimensionnel. Le matériau de base est d’une extrême simplicité : des clous de tapissier1 à têtes noires, piquées sur une paroi blanche. Elles dessinent des formes incertaines, vaguement organiques, comme des traces de salpêtre ou des moisissures sur de vieux murs. Elles redéfinissent un champ pictural all-over qui ne doit cependant rien aux minimalistes américains. L’approche de Marion Jannot est plutôt mimétique et tactile. Mimétique des figures d’un champ pictural très présent, bien que dominé par le blanc, à la manière du dessin. Tactile en ce qu’elle se fonde sur des excroissances et joue sur une réaction d’attraction-répulsion chez le spectateur. Conçues comme bidimensionnelles, ces œuvres sont assez proches, bien que dans un registre très différent, des travaux du peintre biologiste Jaroslav Serpan. Mais la bidimensionnalité n’est, ici, qu’un leurre. En lumière rasante, les Proliférations deviennent des végétations luxuriantes et quelque peu menaçantes. Les excroissances, hautes de quelques millimètres, prennent alors des allures d’êtres immenses, projetant des ombres démesurées. Végétaux ou animaux, amis ou hostiles, actifs ou passifs… On ne saurait dire… Un éclairage latéral fait tout vaciller dans un univers autre. Le vide de l’espace blanc se remplit d’ombres tremblantes. La troisième dimension s’affirme au détriment des deux autres. La vacuité devient espace et mouvement, à la manière dont une partition musicale devient son et temps quand un interprète la joue. Marion Jannot fait du spectateur l’interprète de sa partition plastique. En véritable alchimiste, elle nous fait transmuer le vide en un espace aussi physique que mental, foisonnant et luxuriant. Elle donne donc raison à Melissus de Samos en démontrant, ab absurdo, que le vide, conceptuel ou matériel, ne saurait être.
Les Constructions privées s’inscrivent apparemment dans la descendance du néoplasticisme, non pas celui de Mondrian, car Marion Jannot use de la diagonale, ni celui de van Doesburg, puisque l’artiste bannit la couleur tout en retenant le concept de contre-composition, mais plutôt dans le sillage d’un Michel Seuphor. La comparaison s’arrête ici, car la démarche de l’artiste est fondamentalement différente de celle de ses aînés. Elle esquisse, au crayon à papier, sur le blanc du mur, des lignes obliques orthogonales délimitant des plages vides que nulle couleur ne remplira. Les angles de jonction entre certains plans sont soulignés par des pièces de quincaillerie peintes en noir – loquets, verrous, gonds, poignées, charnières… –, objets qui ont tous à voir avec la notion d’enfermement, de claustration, d’occultation. La question se pose de savoir si les pièces de quincaillerie structurent la composition, précédant les lignes, ou si les lignes préexistent et sont ensuite partiellement effacées, à la façon dont Rauschenberg fait disparaître les traits du dessin de De Kooning2. Marion Jannot emprisonne le vide, à moins qu’elle ne le libère ou le désagrège. Il y a plus de dix ans, à sa sortie de l’École des Beaux-Arts de Paris, elle s’exprimait sur sa démarche déjà affirmée : « Les formes ne se constituent pas par injonction, mais plutôt par une sorte d’analogie sensible. La composition n’est pas pensée a priori, mais s’effectue dans l’intuition des rapports des formes avec les bords et des formes entre elles. Ces rapports créent un jeu, une distance, qui libèrent un espace où les formes se répondent, s’assemblent, se désagrègent ou s’épuisent. » Pas question, donc, d’une quelconque horror vacui, mais des allers et retours incessants entre plein et vide, entre effacement du plein et plénitude du vide. Marion Jannot, telle une équilibriste3 fildefériste, progresse avec assurance sur l’étroite ligne de crête entre deux vides qu’elle a elle-même créés pour la circonstance, dans l’apparente gratuité d’un geste qui anéantit et crée simultanément, qui libère et qui emprisonne l’absence. On pense à René Char : À tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir.
La place demeure vide, mais le couvert reste mis.
Marion Jannot a aussi une pratique plus conventionnelle, celle du dessin, qu’elle maîtrise d’une façon époustouflante. On ne peut oublier sa série Dissolutions, réalisée sur la thématique du séchoir à linge4, déconstruit et reconstruit, comme autant de variations musicales sur un thème initial, quotidien et familier, mais qui, par le seul recours à des traits incisifs s’entrecroisant, domestiquent, animent et peuplent la béance de la feuille blanche. Le dessin donne une forme au vide, aurait pu dire Braque. On peut aussi lire cette série comme une succession de variations de positions, une sorte de Kâmasûtra mécaniste. Plus récemment, dans la série Claustrations, Marion Jannot met en scène des clenches de porte, isolées ou superposées dans des positions successives, comme dans un chronophotogramme ou à la manière dont certains bédéistes figurent le mouvement dans leurs vignettes. Le dessin prend ici une nouvelle dimension. La question demeure de savoir à quel espace donnent accès les portes invisibles portant ces clenches si présentes. Probablement celui d’un vide qui ne peut exister, si l’on en croit le plus jeune des éléates.

Louis Doucet, septembre 2010

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