Marie Lautrou

peinture

du 2 avril au 11 mai 2002


Marie Lautrou

Née en 1972

26 rue d'Aubervilliers
75019 PARIS
01.53.26.95.47

Atelier
SERNAM
14 avenue Édouard-Vaillant
93500 PANTIN
01.48.91.65.58

Formation
1992-97École Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris
Diplômée en section peinture
1991-92École Supérieure d'Art Technique
1990-91Atelier Clouet
Expositions
2002Galerie du Haut-Pavé, Paris
1999Confluences, Paris


Marie Lautrou — archéologue de l‘inconscient
Il y a quelque chose de paradoxal ou de provocateur chez Marie Lautrou, quand elle intitule son exposition Peinture. Certes, au premier niveau de lecture, nous sommes confrontés à des couleurs déposées sur une surface plus ou moins plane. Techniquement, il s‘agit donc bien de peinture... Mais toutes les autres caractéristiques de ses travaux portent à récuser cette définition et à pencher plutôt du côté de la sculpture. Ceci étant dit, si Marie avait sous-titré son exposition Sculpture, le même paradoxe, la même provocation se seraient manifestés. Son travail se situe donc dans un entre-deux, difficilement définissable, mais tellement évident et prégnant qu‘il pourrait être vain de vouloir le cerner.
C‘est en 1999 que j‘ai découvert le travail de Marie Lautrou. C‘était dans son atelier de Pantin, où elle travaille toujours. Elle agrafait alors au mur ses oeuvres, des assemblages de tissus imprimés, préalablement rehaussés de macules de peinture vive. Il était évident que son approche relevait de l‘accumulation, de l‘assemblage, et que, même si le résultat restait strictement plan, il appelait à une lecture tridimensionnelle. Simultanément, la couleur y jouait un rôle essentiel... Mais est-ce tellement contradictoire avec la sculpture ? Notre civilisation moderne occidentale a longtemps exclu la couleur du champ de la sculpture. Et pourtant, les marbres grecs que l‘on admire dans nos musées des Beaux-Arts ont été conçus, pour être peints, d‘une façon probablement très réaliste qui devait rapprocher la Vénus de Milo d‘un de nos modernes mannequins pour étalagiste.
Marie insistait alors sur le besoin de garder une distance entre elle et ses oeuvres. Elle voulait que sa démarche soit solitaire, mais fréquentait cependant assidûment les galeries d‘art contemporain, exercice qui, à la longue, finit par laisser des traces ou des séquelles.
Trois ans plus tard, la forme extérieure de ses travaux a radicalement changé. Le caractère pictural semble plus clairement affirmé, avec des oeuvres qui s‘inscrivent dans un rectangle presque parfait et présentent tous les symptômes — pathologiques ou non — de cette pratique réputée agonisante ou morte: la peinture.
Les peintures de Marie Lautrou offrent au spectateur plusieurs niveaux de lecture superposés. La couche la plus externe, celle du pigment, oppose souvent deux plans : un fond coloré, limoneux, indéterminé, mais cependant riche et sensuel, sur lequel flottent des formes ou des signes monochromes, ponctuations intenses, fortes et pleines de sens qui polarisent et architecturent l‘espace. Sous cette couche superficielle, immédiatement lisible et fortement présente, le spectateur patient peut découvrir un deuxième niveau de lecture, celui du support de la couleur, souvent composé de fragments de tissus de récupération, découpés, superposés, stratifiés et collés pour former une structure propre au dépôt des pigments. Cet assemblage confère au rectangle du tableau des irrégularités spatiales : le rectangle n‘est pas tout à fait régulier et le plan est, en fait, un faisceau de plans entrelacés. Plus profondément encore, pour qui prend soin de chercher ce qui se situe derrière ces lambeaux recomposés, il y a la découverte d‘un substrat surprenant, qui fait office de châssis : un bloc de polystyrène, matière à la fois rigide et fragile, qui sert, en quelque sorte, d‘épine dorsale à l‘ensemble. C‘est donc à une lecture spatiale de ses peintures que Marie Lautrou invite le curieux.
En revanche, quand elle produit des oeuvres en plâtre ou en terre, matériaux appartenant par excellence au répertoire du sculpteur, elle en fait un usage de peintre. Ses compositions s‘affirment d‘emblée comme planes, requérant un accrochage mural et recourant aux pigments pour animer leur surface. Ces fausses oeuvres en volume portent aussi leur lot de mystère et de paradoxe. Certaines me font penser à une hybridation presque contre nature entre les Contre-reliefs de Tatline et le moulage de la Feuille de vigne femelle de Duchamp, le tout agrémenté de couleurs appartenant résolument à un répertoire autre, à celui de la peinture-peinture... Souvent, ces pièces exsudent un érotisme latent, sans que l‘on sache véritablement en attribuer la cause à l‘une ou l‘autre de ses caractéristiques. D‘autres, presque neutres dans leur variance chromatique, évoquent les moulages de surface effectués par les archéologues pour fixer un état de leurs fouilles, avant qu‘ils ne poursuivent leurs excavations, relevés d‘étapes d‘un interminable, méthodique, minutieux et patient travail de révélation, de manifestation — d‘épiphanie —, par dépouillements successifs du derme de la Terre, jusqu‘à en exhumer son histoire enfouie.
Qu‘il s‘agisse de toiles ou de volumes, les oeuvres de Marie Lautrou sont avant tout des sédimentations, au sens immédiatement perceptible, mais aussi dans un sens plus profond, celui d‘un refus de toute forme définitive, figée. C‘est une remise en cause des recettes toutes faites, une exacerbation du paradoxe — ou du malentendu — historique de vouloir faire rentrer l‘univers — sensible ou imaginaire — dans quelques décimètres carrés d‘un substrat plus ou moins rétif ou indocile.
Tout ceci ne va pas sans une prise de risques : risque d‘incompréhension, risque du hors-jeu, risque de ne pas pouvoir être étiquetée ou rangée dans une de ces catégories prédéfinies par la critique artistique contemporaine, risque d‘assimilation hâtive à des recettes ou approches qui n‘ont rien à voir avec sa démarche créative, risque de perte d‘identité dans le maelström des plis et replis du matériau, risque de sujétion à la démarche aux dépens de l‘objectif... Mais qui ne risque rien n‘a rien... Et Marie n‘a jamais reculé devant cette prise de responsabilité, attitude courageuse et forte en notre époque où la lâcheté et le conformisme — même si c‘est celui de la protestation — sont conditions sine qua non de succès et de reconnaissance.
Merci, Marie, de prendre des risques pour nous. Merci de nous conduire par la main dans ce parcours d‘archéologie des sens, de la raison, dans cette démarche qui peut révéler autant de l‘inconscient du spectateur que de celui de l‘artiste. Vous êtes une véritable archéologue de l‘inconscient.

Louis Doucet, mars 2002

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