Petits papiers

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du 5 au 12 février 2011


Petits papiers


Communiqué
Du 5 au12 février 2011, la Galerie du Haut-Pavé propose un accrochage de groupe. Ont été conviés quarante six artistes ayant exposé en ces lieux dans les quinze dernières années, ainsi que quelques invités, proches de la galerie et de son esprit. La thématique retenue est celle des petits papiers. Chacun des exposants a été invité à exposer de quatre à cinq œuvres sur papier, en limitant leurs dimensions à celle d’un format A5. Les techniques utilisées vont du dessin conventionnel à la photographie, en passant par une multitude de façons, directes ou détournées, d’utiliser une feuille de papier. L’ensemble représente un panorama assez complet des pratiques plastiques contemporaines recourant au papier. Au fil des cimaises, le spectateur découvrira des pages de cahiers de croquis, des esquisses de projets, des propositions plus abouties, des formulations de premières idées, des œuvres définitives… Certains artistes pour lesquels le travail sur papier n’est pas pratique courante, se sont imposé l’exercice d’inventer un usage possible du papier, avec la contrainte supplémentaire du petit format, imposant une certaine forme d’intimisme, à l’opposé de tout discours grandiloquent ou de toute proposition définitive. Chez d’autres, pour qui le dessin fait partie du processus créatif, l’exercice proposé les a obligés à un choix pertinent dans leur fonds de travaux intermédiaires. D’autres encore, familiers de la pratique du dessin, ont dû se prêter à l’épreuve de l’expression dans des dimensions réduites, exigeant concentration, sobriété et concision. C’est, en quelque sorte, une invitation à pénétrer, comme par effraction, dans les laboratoires de la création artistique contemporaine qui est proposée par la Galerie du Haut-Pavé.

Petits papiers
Pline l’Ancien raconte, au livre XXXV de ses Histoires Naturelles, comment la fille du potier corinthien Butadès, le premier, selon la légende à avoir modelé des figurines en terre, traça sur le mur, à l’aide d’un morceau de charbon de bois, le contour de l’ombre de son fiancé qui partait à la guerre. Le peintre belge Jean Benoît Suvée (1743-1807), bête noire de David, en tira, en 1791, une toile qu’il intitula L’Invention de la peinture. Ce titre est inexact et trompeur. Pline poursuit en effet son histoire en expliquant que la jeune fille appliqua une couche d’argile, en respectant le contour dessiné sur le mur, la détacha, puis la mit au four pour obtenir un portrait durable de son amant. Suvée aurait donc dû intituler son œuvre L’Invention du portrait. Mais, en l’occurrence, le titre aurait aussi été usurpé puisque Butadès père pratiquait déjà le portrait en terre cuite en modelant des figurines. Ce que la jeune corinthienne a inventé, c’est le dessin. Et cette légende attribue déjà au dessin deux de ses caractéristiques essentielles : l’intermédiaire et le mémorial.
Intermédiaire – Dans le récit de Pline, le tracé sur le mur ne constitue qu’une étape dans le processus de réalisation du portait en terre cuite. Le dessin n’a aucune vertu de produit fini. Il n’a servi que dans une étape intermédiaire – décisive, certes – du processus d’élaboration d’une œuvre plus noble, présentable, non sujette à l’éphémère. Il contribue à un projet. Il est projet. Le mot dessin tire d’ailleurs son étymologie du mot dessein. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que ces deux mots prennent des sens distincts, introduisant un nouveau niveau conceptuel dans le processus créateur :
dessein /intention - dessin/matrice - projet/réalisation - objet/produit fini
En revanche, le mot motif continue à garder ses deux significations d’intention et de matrice. Le verbe dessiner se confond avec le verbe désigner jusqu’à la fin du XVIe siècle. Ces deux mots puisent dans un fonds commun de sens qui gravitent autour des notions de reconnaissance et de signalement. Le dessin est donc aussi ce qui permet de distinguer, de révéler, de séparer, de réduire les incertitudes ou les ambiguïtés. Le dessin est un moyen de simplifier, d’ordonner la confusion ambiante. C’est un moyen pour révéler l’essentiel. Ne dit-on pas, dans le langage courant, « je ne vais pas te faire un dessin » pour éviter d’entrer dans le développement d’une explication jugée inutile ou superflue ?
Mémorial – L’histoire de Pline ne pouvait que finir tristement. Le jeune amant meurt à la guerre. Sa fiancée éplorée n’a plus que l’effigie en terre cuite, le produit du dessin, pour se remémorer les traits du disparu. Le dessin est donc ici ce qui subsiste, la relique, au sens étymologique de ce terme, de quelque chose qui a existé et qui n’est plus. Dans un processus régressif par rapport à celui de la création, le dessin devient un substitut, par défaut, à ce qui n’est plus accessible. Et si le dessin venait à disparaître1, c’est plus la mémoire du dessin que celle de l’objet initial qui se substituera à l’objet disparu :
objet devenu inaccessible - dessin - image mentale du dessin disparu
Bien avant l’avènement de la photographie, le dessin, même schématique, était le seul moyen de fixer les réalités avant qu’elles ne s’échappent. Il reste encore le moyen le plus simple pour fixer des concepts fugitifs et empêcher leur disparition ou leur effacement2. Aujourd’hui encore, en cas de constat amiable suite à un accident de la circulation, les compagnies d’assurance ne demandent-elles pas aux parties concernées de matérialiser les faits par un dessin, aussi sommaire soit-il ?
* * *
Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, la définition du dessin commence à prendre de l’autonomie par rapport au rôle fonctionnel qui lui était jusqu’alors dévolu. Sa différentiation d’avec la peinture devient de plus en plus arbitraire. On convient que le dessin est essentiellement monochrome, même s’il peut être colorié dans un second temps de sa réalisation, tandis que la peinture reste colorée, même si l’on peut peindre en grisaille ou en camaïeu. Le sens commun verra un dessin là où les tracés ou les contours restent apparents et nommera peinture une œuvre où prédominent les aplats et les taches colorées ou non. Delacroix peint. Ingres dessine.
En ce début de XXIe siècle, le dessin a définitivement gagné un statut de mode d’expression artistique autonome. De fait, toute œuvre sur papier qui n’est pas un multiple est, aujourd’hui, considérée comme un dessin. C’est donc le support utilisé qui confère à l’œuvre le statut de dessin et non plus le rôle d’intermédiaire ou de mémorial dans un processus créatif, ni même les notions de ligne, de contour ou de tracé. Pour qui en douterait encore, il suffirait, pour l’en convaincre, de parcourir les allées du Salon du dessin contemporain3. C’est le recours au papier qui fait désormais le dessin. Certes, on commence à parler de dessin numérique, mais il est visualisé sur du e-paper, un papier, après tout, du moins dans sa dénomination, même s’il n’en a que très peu de caractéristiques. Un petit dessin, sera donc réalisé sur un petit papier. Le jeu petits papiers était, au XVIIIe siècle l’ancêtre du cadavre exquis surréaliste. Être dans les petits papiers de quelqu’un, c’est jouir de sa faveur, de sa considération, de son soutien, en sous-entendant un dessein occulte. On lisait aussi récemment, à la une de quelques grands quotidiens et hebdomadaires français, que la police était à la recherche de petits papiers au domicile d’une riche contribuable soupçonnée de malversations.
Il y a donc, dans les petits papiers, dans les petits dessins, une double connotation évoquant simultanément la sphère du privé et une certaine dose d’occultisme ou de transgression. Les petits papiers, les petits dessins, matérialisent donc des desseins privés, intimes, doublés d’un relent d’illicite ou d’interdit. C’est dans cette étroite zone de tangence et de tension entre la sphère de l’intime et celle du regard public normatif, critique, voire pudibond, que se situe le dessin. C’est ce qui en fait l’intérêt, l’attrait, mais aussi le danger. Un danger qui a tous les charmes de la belle fleur vénéneuse, du fruit défendu, de l’interdit, mais aussi de l’inconnu. Pour un artiste, montrer un dessin, un petit dessin, c’est se dévoiler, exhiber une partie de sa sphère intime en prenant le risque d’en exposer les contradictions, les incertitudes, les irrésolutions. Et c’est ce qui fait notre bonheur, à nous, spectateurs mués en regardeurs-voyeurs...

Louis Doucet, janvier 2011

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