Emmanuelle Samson

8 novembre au 1er décembre 2007


Emmanuelle Samson

Née en 1971
7 place Camille Pelletan
33000 BORDEAUX
05 56 91 66 28
30 rue du Faubourg
64190 NAVARRENX
05 59 66 16 81
samson.emma@wanadoo.fr

Formation
1998Corso Superiore di Arte Visiva avec Hamish Fulton, Fondation A.Ratti, Como, Italie
1997Cours d’Anthropologie au Centre d’Etude d’Afrique Noire de Bordeaux, France
1996Diplôme National Supérieur d’Etudes Plastiques à l’Ecole Nationale des Beaux Arts de Bourges
1993Diplôme National d’Art Plastique à l’Ecole des Beaux Arts de Bordeaux, France
Expositions
2007Galerie du Haut Pavé, Paris
2005Galerie Jean François Dumont, Bordeaux
Association L’Autre, Université Bordeaux II
2004Galerie Jean François Dumont, Bordeaux
Galerie Brancuş de Chişinaû, Moldova
2003Galerie Mollat – Jean François Dumont, Bordeaux (janvier et octobre)
Fondation Krishnamurti, Bangalore, India
2002Galerie du Centre culturel Monséjour, Bordeaux-Caudéran
2000Galerie de l’Union des Artistes Plasticiens de Moldavie, Chişinaû, Moldova
«Jeunes Créateurs», Centre Culturel Noriac, Limoges
1999Galerie Via Farini, Milano, Italie
1998Château de Duras
Chapelle San Francesco de Como, Italie
Association Pollen, Monflanquin, Lot-et-Garonne
Résidence, allocations, séjours
2007Séjour dans la communauté indienne immigrée à Hopkins, Minnesota, USA
2006/05Séjour au Mali et au Burkina Faso
2005Allocation pour l’achat de matériel, DRAC Aquitaine
2004Symposium international d’Art Contemporain, Union des Artistes, Chişinaû, Moldova
2004/03Séjour au Mali et au Burkina-Faso
2003Résidence à Valley School / Fondation Krishnamurti, Bangalore, Inde
2001/00«Habitation Bordeaux» : sculpture habitable (110 m3)
2000Séjour à Dakar, Sénégal
Séminaire avec l’Union Latine, l’Alliance Française, l’Université Pédagogique d’Etat, le Centre Soros pour l’Art Contemporain en Moldavie (Chişinaû, Moldova)
Bourse d’Aide Individuelle à la Création de la DRAC Aquitaine
1999Marches dans Berlin
Interventions artistiques auprès des enfants de Gorée et des quartiers des Parcelles, en partenariat avec le danseur et comédien Ismaïl Thiam, Dakar, Sénégal
1999/98Atelier du Ministère de la Culture au Village des Arts de Dakar, Sénégal
1998Résidence, Association Pollen de Monflanquin, Lot et Garonne, France
1996Assistante pour un travail de mesures du Karlûv Most, Prague, République Tchèque
1995Récolte sonore de mots prononcés dans 24 langues différentes, réalisation aux Daxtop Estudios «Xenon», Madrid
Presse, sites, catalogues
C Bordeaux Magazine (automne/hiver 2004), p.21. Auteur : Didier Arnaudet
http://www.mollat.com/accueil/Portrait/Emmanuelle Samson/
20 minutes – Bordeaux, N°609, p 17
Catalogue de la Fondazione A.Ratti édition 1999, p139, (Charta-Milan)
Créations (publication de l’Ecole Moderne Française) n° 85, p. 32. Auteur : E.Samson
Catalogue personnel des artistes en résidence à Monflanquin, auteur : Didier Arnaudet
Divers
2006Les Femmes de Komodindé, film court réalisé à leur demande pour la promotion de leur projet de cultures maraîchères, région de Kayes / Nioro du Sahel, Mali
2006Séminaire Art et Anthropologie, Université Bordeaux II
2005/06Assistante au tournage d’un documentaire cinématographique pour recueillir des témoignages de déportés de la seconde guerre mondiale
2005Intervention artistique en cours d’Anthropologie Visuelle, Université Victor Segalen Bordeaux II
2002Interventions artistiques en contrat avec l’Académie de Bordeaux (classes de maternelles et primaires).

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« Ce qui s’oppose s’accorde ; de ce qui diffère résulte la plus belle harmonie. Tout devient par discorde. »
Héraclite
Le travail d’Emmanuelle Samson évoque irrésistiblement la pensée d’Héraclite ou, du moins, ce que les exégètes ont pu en reconstruire à partir des menus fragments qui nous sont parvenus, déformés par la tradition orale et par les distorsions en plaidoyers pro domo de la part de penseurs peu soucieux d’exactitude, trop heureux de pouvoir enrôler sous leur bannière la figure légendaire du sage d’Éphèse.
Sur la forme
Emmanuelle Samson collecte des fragments de matériaux de récupération qui, chacun pris individuellement et hors de tout contexte, ne porte que peu de sens, ne présente guère d’intérêt. Elle les assemble, usant de tiges filetées, d’écrous et de vis, laissés visibles, pour les déployer dans l’espace en des structures aériennes et fragiles, toutes en tension, authentiques éloge et témoignage de cette différence génératrice d’harmonie qu’Héraclite appelait de ses vœux : « ils ne saisissent pas comment le différent se convient, harmonie de tensions inverses, comme celles de l’arc et de la lyre. »
Bien sûr, les habituels pisse-vinaigre, ces chantres du bon goût stérile et stérilisant1, ne verront que la pauvreté du matériau, les traces de rouille, le manque de noblesse des morceaux de bois et des fragments de tôle, le bricolage des vis et des tiges métalliques servant à l’assemblage. Cette myopie intellectuelle, bien proche de la cécité, leur fera ignorer la tension quasiment miraculeuse des pleins et des vides, l’élégance et la subtile finesse de l’inscription dans l’espace. Ils négligeront le courage de l’artiste qui, faisant fi des formalismes réducteurs, arrive à faire jaillir le feu2 de banales reliques, parvient à embraser les ruines de la quotidienneté. Et, ce, sans volonté de dissimuler quoi que ce soit, sans cacher le procédé d’assemblage : tout révéler du processus sans pour autant imposer une lecture univoque. À l’instar d’un tailleur qui aurait laissé les fils de bâti sur le vêtement terminé, Emmanuelle Samson montre tout de son procédé constructif. Elle nous livre à la fois le produit fini et le patron qui lui a servi de modèle.
À sa manière, et de façon presque insidieuse, Emmanuelle Samson nous secoue avec insolence. Elle veut nous réveiller, pour éviter que les endormis du conformisme ne s’enferment dans une trop facile délectation individuelle et égoïste. Héraclite, toujours : « pour les éveillés, le monde est un et commun, mais chacun de ceux qui dorment s’en détourne vers son monde propre. » Cette vérité, qui nous est proposée par l’artiste, s’appuie sur l’énergie, sur la remise en question des préjugés et des habitudes, suscitant une espérance en un avenir capable de se substituer au tarissement des narcissismes éculés. Arp, Schwitters, Kandinsky, Tatline, en leur temps, n’ont pas procédé autrement... Héraclite, encore : « joignez ce qui est complet et ce qui ne l’est pas, ce qui concorde et ce qui discorde, ce qui est en harmonie et en désaccord ; de toutes choses une et d’une, toutes choses. »
Pas d’emphase ni de démesure, cependant, dans ses productions qui restent toujours dans le registre de la finesse, de la légèreté, de l’aérien, dans des équilibres, apparemment instables, qui questionnent et remettent en question les lois communes de la gravité. Là encore, les mots d’Héraclite sonnent à notre esprit : « il faut éteindre la démesure plus qu’un incendie » car le penseur d’Éphèse l’avait déjà compris, il y a plus de vingt cinq siècles : « l’éclosion reste cachée. »
Sur le fond
Dans la pensée héraclitéenne, diamétralement opposée à l’éléatisme de Parménide, l’être et les choses sont en perpétuel et éternel devenir. Exclue, donc, cette unité qui rend impossible la déduction du devenir et de la multiplicité. En revanche, l’affirmation de l’absence de consistance des choses, qui se meuvent sans cesse, ne demeurent jamais ce qu’elles sont et peuvent se transformer en leur contraire. C’est ainsi qu’il faut lire le fragment d’Héraclite le plus souvent cité : « À ceux qui descendent dans les mêmes fleuves surviennent toujours d’autres et d’autres eaux. » Pour Héraclite, tout devient tout, tout est tout ; ce qui vit meurt, ce qui est mort devient vivant ; ce qui est visible devient invisible, ce qui est invisible devient visible ; jour et nuit ne sont que deux facettes d’une seule et même chose ; le haut et le bas, le commencement et la fin, l’utile et le nuisible ne diffèrent pas3. Jamais le courant de la génération et de la mort ne s’arrête. Les choses ne sont jamais achevées, mais sont continuellement créées par les forces et les tensions qui s’écoulent dans les phénomènes. Les choses sont des assemblages de forces contraires et le monde est un mélange qui doit sans cesse être agité pour qu’elles y apparaissent : « πόλεμος πάντων μέν πατήρ έστι » (la confrontation est père de tout).
Les assemblages d’Emmanuelle Samson répondent pleinement à cette préoccupation. Ils exaltent la tension et les oppositions entre contraires : lignes et plans, vides et pleins, neuf et usé, art et bricolage, banal et sublime. Ils transforment des matériaux morts en composantes d’une œuvre vivante. Ils découpent, dans l’espace, des zones de vides, théoriquement invisibles mais qui deviennent perceptibles, présentes pour qui veut bien prendre la peine et le temps de les observer. Ils bafouent la gravité en niant l’existence d’un haut et d’un bas. Ils concentrent et rapprochent espace muséal et décharge d’ordures. Ils sont inachevés dans la mesure où leur développement ne semble avoir été arrêté – suspendu, devrait-on dire – que par l’arbitraire de l’artiste. Ils sont un et multiple, révélant des aspects changeants selon l’angle de vision, la lumière, la position du spectateur, la présence de tiers dans l’espace de monstration… Ils font du multiple une œuvre unitaire, mais d’une unité qui, elle-même, est multiple, à la fois présent et devenir.
Parfois, comme par réaction à cet excès d’indétermination, Emmanuelle Samson éprouve le besoin de fixer un instant de ce perpétuel, inexorable et insaisissable mouvement génésique. Elle dessine alors, sur de grandes feuilles de papier, les contours de fragments de ses assemblages tridimensionnels, arbitrairement cadrés et projetés sur le plan de la page blanche, modifiés ou réinterprétés selon l’humeur. Il en résulte des sortes d’épures rigoureuses, comme dessinées au scalpel, qui font penser, non pas aux machines célibataires de Duchamp, mais aux dessins mécanistes de Picabia, lesquels auraient été réduits par le regard synthétique d’un Matisse et transcrits sur papier par le crayon incisif d’un Ellsworth Kelly.
De façon assez paradoxale, ces moments, pourtant figés en deux dimensions et réduits au trait noir sur fond blanc, bien plus que les assemblages dont ils sont les reflets, évoquent une chorégraphie silencieuse, le voyage, l’espace, la pesanteur… On touche au logos héraclitéen : « il n’y a qu’une chose sage, c’est de connaître la pensée qui peut tout gouverner partout. » Ces dessins résultent de la démarche de recherche de l’Un dans le Multiple, de cette sagesse qui fait loi : « νόμος καί βουλή πείθεσθαι ένός » (la loi et la sentence sont d’obéir à l’un).
Rhizomes et fractales
Les constructions d’Emmanuelle Samson semblent aussi répondre à des règles qui, bien que différentes d’une œuvre à l’autre, ressortissent à un modèle de développement homogène, on pourrait dire génétique. Seule la volonté de l’artiste ou les limites de l’espace de présentation arrêtent un processus de croissance, quasiment organique, que l’on imagine pouvoir se développer à l’infini. On pense, bien entendu, à la Colonne sans fin de Brancusi. Cependant, ici, la progression n’est pas limitée à la seule verticale. Elle investit les trois dimensions de l’espace. La quatrième, même, si l’on s’avise de vouloir faire se mouvoir ces frêles structures...
Par la magie de son art, Emmanuelle Samson confère donc à des matériaux amorphes des qualités organiques, opérant ainsi un changement de règne, une transmutation, une transsubstantiation, au sens littéral de ce terme. Le schéma de développement de ses œuvres s’apparente aux fractales, dont la théorie mathématique fut fixée par Benoît Mandelbrot, à partir de 1974, et qui peuvent modéliser des phénomènes aussi différents que la création des flocons de neige ou la croissance des fougères. Plus encore qu’aux arides mathématiques, c’est aux rhizomes que les assemblages d’Emmanuelle Samson font penser. Le rhizome, tige souterraine de certaines plantes vivaces, porte des feuilles, réduites à des écailles, des nœuds, des bourgeons, lesquels produisent, à leur tour, d’autres racines adventives souterraines ou des tiges aériennes. Le rhizome stocke ses propres réserves – amidon et inuline – qui lui permettent de maintenir un développement autarcique et assure sa multiplication végétative en des structures qui peuvent devenir proliférantes ou traçantes – tel le chiendent ou le bambou –, s’épaissir – comme le gingembre ou le galanga – ou se transformer en tubercules – pomme de terre, igname ou topinambour –. Chacun reconnaîtra et cueillera, dans les constructions d’Emmanuelle Samson, les fruits de sa propre imagination… Et se gardera bien d’en parler car, comme le rappelle fort opportunément Héraclite : « au moindre mot, le sot s’effarouche. »

Louis Doucet, octobre 2007

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