Wilson Trouvé

3 au 28 juin 2008


Wilson Trouvé

Né en 1980
10 rue Michel Salvarelli
13002 MARSEILLE
06 67 79 56 46
wilsontrouve@yahoo.fr
www.wilsontrouve.com
DNSEP, Villa Arson / École Nationale Supérieure d’Art de Nice, 2003
DNAP, École Régionale des Beaux-Arts de Rennes, 2001

Expositions personnelles
2008Galerie du Haut-Pavé, Paris
2007Galerie Porte-Avion, Marseille
2006Galerie du Collège Marcel Duchamp, École Municipale d’art de Châteauroux
Galerie du Tableau, Marseille
2005Le tableau peut nuire à la peinture, La Petite Surface, Fâches-Thumesnil
Marquer son territoire, Pollen, Monflanquin
Consommations, Galerie verticale, Laval, Québec
Expositions collectives
2008Salon du dessin contemporain, avec la Galerie Porte-Avion (Marseille)
20ème Biennale internationale de céramique con­tem­poraine, Vallauris
My Space, Galerie du Cloître, École Régionale des Beaux-Arts de Rennes
Marseille Artistes Associés, Musée d'art contemporain, Marseille
Champs d'expériences, Le 19, Centre Régional d'art contemporain, Montbéliard
2007Build'in, collectif MPV, Atelier Alain Lebras, Nantes
Gourmandises, Atelier d’Estienne, Espace d’art con­temporain, Pont-Scorff
Espace d’art contemporain de l’Arteppes, Annecy
200619ème Biennale internationale de céramique con­temporaine, Vallauris
La Vigie, Nîmes
Galerie de l’École d’Art de Belfort
Galerie des Grands Bains-douches, Marseille
Galerie Éric Dupont, Paris
2005Château de Servières, Marseille
PicNic, Galerie Fraich'Attitudes, Paris
Musée National Adrien Dubouché, Limoges
Espace d'art contemporain de l'Arteppes, Annecy

Trouvé 1
Hot Stuff. (série), 2006-2007
Colle thermofusible sur caillebotis en bois peint, 39 x 63 cm

Trouvé 1
Red Light, 2005 Intervention à la pâte à modeler rouge sur radiateur

Trouvé 1
Breakfast, 2005 Cire de bougie sur grilles de réfrigérateur, 18 x 48 x 32 cm

Trouvé 1
Dessin, 2006 Encre et mine de plomb sur papier Bristol quadrillé, 21x29,7

Trouvé 1
Déglaçage, 2007 Bonbon fondu sur socles en bois peint, dimensions variables, hauteur 180

Trouvé 1
Fresh Paint (détail), 2007 Briques en plastique de couleur, colle thermofusible 105x65x65

Parler de « croûte » quand on évoque une production artistique constitue un jugement sans appel qui relègue l'oeuvre considérée au rang d'objet indigne de tout intérêt, produit d'un artiste probablement raté, ne maîtrisant pas sa technique, et condamné, de ce fait, à être exclu du panthéon du bon-goût… Pourtant, comment décrire les œuvres d’Eugène Leroy, par exemple, sans parler de « croûte picturale » ? Et que serait le pain sans sa croûte dorée et appétissante ? Notre planète sans sa croûte terrestre nourricière ?
Pour commencer à parler des œuvres de Wilson Trouvé il faut en effet évoquer la croûte. C’est ainsi qu’apparaissent, au premier regard, les textures qui se déploient à la surface de ses compositions – accrochées au mur ou tridimensionnelles –, qu’elles soient réalisées en céramique, en pâte à modeler, en colle thermofusible, en sucre, avec des bonbons gélifiés fondus ou avec des pigments. Elles se développent, sur les objets qu’elles couvrent, telle une seconde peau, une peau meurtrie et irrégulière, couverte de traces de blessures et de cicatrisations. On pense immédiatement aux pages qu’Ambroise Paré consacra aux phénomènes de cautérisation et de régénérescence cutanée. Vient aussi à l’esprit l’image des sétons, ces drains constitués d’une mèche en coton ou d’un faisceau de crins que l’on insère sous la peau, de façon à ce que les deux extrémités en sortent par deux orifices différents, afin d’évacuer les sécrétions sanglantes ou purulentes d’une plaie profonde. Pour Paré, le séton favorisait le transit des humeurs morbides : « Et est vraysemblable que le virus et venenosité prend issue par l’ulcere fait dudit seton ».
Sanies, vomissures, crachats, éjaculations, déjections, bavures, suintements, excréments, humeurs, ab­cès, souillures, salissures, purulence, épanchements, mens­trues, dégoulinades, coulures, saignements, dé­bor­dements, pus, dartres, flétrissures, pertes, suppurations, desquamations, pityriasis, exfoliations, écaillures et autres cancers viennent à l’esprit et suscitent un premier mouvement de recul, de rejet… Et puis la curiosité prend le dessus. On se décide à toucher… Ce que l’on croyait être de la céramique vernissée est, en fait, de la colle thermofusible translucide colorée en rose chair par effet de transparence du support sous-jacent. Ici, où l’on pensait trouver un glacis de peinture acrylique, les doigts trouvent la texture de la stéarine ayant coulé de bougies. Là, ces traces dégoulinantes, que l’on prenait pour du siccatif mêlé à de l’huile de lin et maladroitement appliqué, se révèlent être du bonbon fondu ou du caramel… Et ce qui semblait être un amas solide de peinture accumulée a, au toucher, l’élasticité de la pâte à modeler. Wilson Trouvé, cherche à créer une ambiguïté permanente et dérangeante entre l’apparence de ce que l’on voit et la réalité matérielle des choses, ambiguïté que seul le toucher permettrait de lever. Mais le toucher reste interdit, générant un sentiment de frustration difficilement contrôlable : on transgresse en touchant ou on reste sur ses incertitudes. Le geste créateur de Wilson Trouvé est ludique et généreux. Il révèle aussi, simultanément, une certaine forme de vulnérabilité, de fragilité. Il veut surprendre et déstabiliser, sans recourir au spectaculaire, tout est restant dans le registre du constat amusé, du jeu et de l’ironie, se refusant à entrer dans un processus violent de remise en cause du monde ou de la société. En ceci, il peut être qualifié de superficiel, mais sans connotation péjorative, un peu à la façon dont la peau est la manifestation superficielle de l’homme. Il est de l’ordre du recouvrement et de l’accumulation. Il traduit une volonté de changement – à l’opposé de toute révolution bruyante ou spectaculaire – par la mise à jour d’une forme instable et non figée, en devenir ou en attente. Wilson Trouvé aime à dire que c’est par le recouvrement que les choses apparaissent, que recouvrir c’est révéler. S’il choque ou interpelle, c’est qu’il met à nu les blessures intimes de l’artiste ou, par effet de transfert, celles du spectateur, à moins que ce ne soit ses désirs ou ses fantasmes. Même s’il récuse d’emblée toute lecture psychanalytique de son œuvre, son rapport à la chair est associé au désir, porteur de plaisir ou de jouissance, mais aussi de blessure ou de souffrance. On discerne une forme de dualité schizophrénique au sein de ses formes et de ses images, et c’est sans doute ce qu’il tente de révéler en confrontant ce qui s’oppose ou est traditionnellement séparé. Son geste devient alors l’expression de cette part de contradiction, de vulnérabilité intime que chacun porte en soi, telle une plaie inguérissable, sans cesse rouverte et surinfectée par les relents inavouables d’histoire individuelle. Wilson Trouvé fait intrusion, sur la pointe des pieds, dans notre jardin intime, localise la blessure contradictoire et y place ce séton qui la fait suinter à fleur de peau. Et puis, il se retire, aussi discrètement qu’il est entré… Il donne ainsi une résonance particulière au propos de Valery: « Ce que nous avons de plus profond, c’est la peau ».
Pour autant ce geste n’a rien de statique. Il dénote une présence active, regorge d’énergie, trahit le mouvement du créateur, ses interrogations, ses hésitations et ses décisions. La multiplication des séries témoigne de cette rage créatrice qui ne semble s’assouvir qu’avec le tarissement complet de l’idée génératrice, répétée, dans ses variations rageuses, jusqu’à ce que le point d’orgue final s’impose comme une nécessité. Mais, curieusement, l’ordre des pièces dans ces séries n’est ni crucial ni perceptible. On peut y trouver une traduction picturale du moto perpetuo des musiciens ou de la « forme cyclique » si chère à Vincent d’Indy, du leitmotiv wagnérien ou encore de l’« idée fixe » chez Berlioz.
Lorsque je me suis rendu la première fois dans l’atelier de Wilson Trouvé, dans le quartier du Panier, à Marseille, le chauffeur de taxi, qui m’y conduisait depuis la gare Saint-Charles, avait refusé d’entrer dans le quartier, arguant que c’était un coupe-gorge, et avait tenté de me dissuader d’y aller. Il m’avait laissé en contrebas, près d’une volée d’escalier, au pied de la Cathédrale. Je montai et demandai mon chemin à quelques personnes, qui s’étonnaient de mon audace. Je finis par tomber sur un vieux Marseillais, qui se proposa de me conduire, me racontant, chemin faisant, avec son accent chantant, l’histoire du quartier, ses propres problèmes de santé depuis qu’il avait pris sa retraite, démentant la légende selon laquelle le quartier serait mal fréquenté. C’est qu’il a toujours servi de point d’accueil pour les dernières générations d’immigrés et fait peur aux autres, aux autochtones ou aux immigrés intégrés depuis plusieurs générations. Selon mon gui­de, les seules gorges coupées, dans le quartier, devaient être celles des moutons et des chèvres, lors des grandes fêtes religieuses, notamment celle de l’Aïd-el-kébir. L’image des traces de sang des animaux sacrifiés, laissées sur le sol, me vint naturellement à l’esprit quand je découvris, quelques minutes plus tard, les coulures sur certaines des oeuvres de Wilson Trouvé.
L’artiste reconnaît aisément que le corps est toujours présent dans son travail. Le recours aux matières liquides ou fondues impose en effet un parallèle avec les liquides corporels. De ce point de vue, son choix de matériaux n’est pas si éloigné de celui de McCarthy, avec son ketchup et sa mayonnaise, ou des artistes viennois du groupe Gelitin1. Mais il ne faut pas oublier que ces substances sont d’abord mises en œuvre pour faire l’expérience de la peinture, pour permettre à l’artiste de se focaliser sur l’acte de recouvrement-nap­page, acte qui, d’ailleurs, n’est pas exclusivement pictural. L’atelier de Wilson Trouvé est installé dans un immeuble récent, enclavé dans d’autres plus anciens, épargnés par les bombardements de la dernière guerre, puis par la folie de la rénovation urbaine. Ma première réaction avait été de penser que mon hôte partageait son atelier avec un autre artiste, tant les travaux me semblaient éclectiques. Certains dessins, notamment, me déconcertaient. Ce n’est qu’après une longue observation que je finis par comprendre la profonde cohérence de toutes ces pièces. Cette cohérence, il faut la chercher – et la trouver – d’abord dans la grille orthogonale qui préside à la construction de toutes les œuvres de Wilson Trouvé, grille qui part d’une proposition plane pour se déployer dans l’espace, soit par des superpositions, soit par des effets de translation et d’homothétie, un peu à la façon des Architectones de Malevitch.
La forme la plus évidente est celle de Red Light, 2005, intervention à la pâte à modeler rouge sur un radiateur, qui a pour effet de transformer un objet à trois dimensions en un tableau bidimensionnel marqué par la verticalité des éléments constitutifs. Le paradoxe est, dans cette pièce, que la combinaison d’un volume et d’un matériau voué à la création de volumes résulte en une œuvre perçue comme plane. Nous sommes, ici, à l’opposé de la démarche conventionnelle du peintre qui veut donner l’illusion du volume sur un support plan. Le procédé est similaire dans Hot Stuff, 2006-2007, une splendide série dans laquelle des caillebotis en bois sont transformés en tableaux d’un rose appétissant, sensuellement tactile, comme une peau féminine ou un maquillage, par des couches de colle qui laissent deviner la structure quadrillée sous-jacente. De même, dans la série Aquarium, 2006-2007, des moulages, à la colle thermofusible, d’un fragment d’aquarium de salon, sont présentés comme des objets plats, accrochés au mur tels des tableaux, même si les coulures et les bavures, devenues horizontales dans la présentation, esquissent une troisième dimension que contredit le mode d’exposition. Dans Nature Morte, 2006, des objets en céramique sont installés sur un haut socle en bois et maculés de colorant, ce qui dénie leur volume pour ne souligner que leur surface, effet accentué par la présentation frontale et par le titre, qui renvoient tous deux à la peinture de chevalet. En revanche, la démarche est opposée dans Breakfast, 2005, lorsqu’une grille de réfrigé­ra­teur, essentiellement plane, devient objet tridimensionnel – évoquant certains gâteaux anglo-saxons démesurément agrandis – par l’adjonction de cire de bougie. Il en est de même dans Déglaçage, 2007, assemblage de socles blancs en une structure de dimensions variables, selon le lieu d’exposition, mais d’une neutralité qui ne fait pas percevoir le volume, si ce n’est de façon abstraite et mentale, comme une épure d’architecte ou une des maquettes en plâtre de Malevitch. Ce qui fait prendre conscience de la réalité du volume, de la matérialité de la troisième dimension, c’est le nappage de bonbon fondu qui dégouline sur les faces des parallélépipèdes. La démarche est similaire dans Marquer son territoire, 2004-2005, où des plaques de polystyrène, blanches et planes, sont montées comme un labyrinthe sur une grille orthogonale, l’affirmation de la troisième dimension étant confiée, ici, à des traînées de cire de bougie. Le procédé est un peu plus complexe dans The Liquid Architecture Project, 2006, où des coton-tiges sont assemblés avec de la colle pour former des constructions improbables et fragiles : ici, le segment devient volume illusoire et illusionniste...
Wilson Trouvé subvertit donc les notions traditionnelles de peinture et de sculpture, annule la troisième dimension là où elle existe et la crée là où elle fait défaut. Ce processus de déstabilisation par subversion des repères et des catégories traditionnels joue aussi sur les notions de contraction et de dilatation, de débordement contrarié, d’excès. Il y est aussi question de mesure désirée mais contredite par la démesure du geste, de discipline imposée dans un univers de violence… À moins que ce ne soit le contraire : d’ordre compromis par l’entropie du monde. L’intérieur et l’extérieur cessent d’être perçus de façon contradictoire. Wilson Trouvé fait écho au célèbre propos de Breton définissant le surréalisme : « Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. » Wilson Trouvé reconnaît que son intérêt pour le mouvement cyclique entre le haut et le bas provient d’une réflexion sur le baroque et sur l’organisation du mouvement dans la composition des œuvres nées de ce courant de la peinture, mais aussi de la sculpture et de l’architecture de cette époque. On y trouve aussi, de façon évidente, une sympathie avec les réflexions de Duchamp sur l’« inframince ».
Il y a ainsi, chez Wilson Trouvé, une démarche qui s’apparente à la déconstruction telle qu’initialement formulée par Heidegger : « Cette tâche, nous la comprenons comme la destruction, s’accomplissant au fil conducteur de la question de l’être, du fonds traditionnel de l’ontologie antique. » Destruction immédiatement suivie d’une reconstruction, réhabilitant une pratique picturale longtemps vilipendée, puis retrouvée et adoptée au risque de flirter dangereusement – mais non sans délectation – avec les frontières du baroque ou du kitsch… D’où cette sensation constante, pour l’ob­ser­vateur des œuvres de Wilson Trouvé, d’être perpétuellement ballotté entre stabilité et instabilité, entre subjectif et objectif, entre effusion incontrôlée et retrait réflexif...
La structure orthogonale, plus ou moins lisible mais toujours sous-jacente, dans toutes les œuvres de Wilson Trouvé, renoue avec les modèles de Carl André ou de Donald Judd, mais elle est contredite, contrecarrée, contrebalancée, chahutée, contestée par la gestualité d’un Pollock qui les aurait fait passer par le traitement de ses drippings.
Ce sont peut-être les dessins de Wilson Trouvé qui exemplifient le mieux cette dualité. Vus à distance, ils s’inscrivent clairement dans un réseau quadrillé, dont l’orthogonalité n’aurait pas déplu à Mondrian. Mais, au fur et à mesure que l’on s’en approche, les lignes deviennent hésitantes, la structure lacunaire, la texture trouée. La régularité laisse place à un univers plus souple et fluide, où les interpénétrations sont de règle, les interstices flous, la verticale baveuse, les frontières perméables, les armatures spongieuses, les lisières feutrées, l’horizontale indécise, les couleurs lactescentes, les substrats charnus… Tout un univers à découvrir, riche d’opportunités et complexe dans sa structure, mais qui s’évanouit dès lors que l’observateur recule d’un pas. Ses dessins, comme ses objets, requièrent cette double appréhension, l’une à l’intérieur de l’œuvre et l’autre à distance. La prise de distance permet d’appré­hender non plus les détails qui forment l’image mais son intégralité dans son rapport à l’espace du papier, au vide qui entoure la forme. Il en va de même de ses objets, dans lesquels Wilson Trouvé s’intéresse de plus en plus au vide, aux interstices, à la forme qui apparaît entre les pleins, en négatif en quelque sorte. Il souligne que l’un ne va pas sans l’autre, que ce qui semble s’opposer doit être confronté pour former un tout.
L’incongruité de ces visions changeantes évoque, chez moi, un passage de Lesage, dans son Gil Blas : « Nous y rencontrâmes un homme de vingt-sept à vingt-huit ans, qui trempait des croûtes de pain dans une fontaine. » N’était-ce-ce pas un alter-ego de Wilson Trouvé ?

Louis Doucet, mars 2008

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