Chloé JARRY

« Collimateur excentré »

Exposition du 7 mai au 1 juin 2019 Vernissage mardi 7 mai de 18h à 21h

Collimateur excentré, 2019 – Azuléjos : peinture 3ème feu

Se lever, enserrer la poignée de porte, et ressentir un trouble : sa forme est quelque peu modifiée. Ce léger changement donne alors à cet objet de notre quotidien une nouvelle valeur, nous l’observons dans toute l’étrangeté de sa normalité et le considérons avec attention. Le travail de Chloé Jarry agit selon ces mêmes modalités. Elle sculpte, ou dessine, des éléments qui nous entourent en en modifiant la matière. Ses céramiques réinterprètent des objets manufacturés et rarement valorisés : amas d’ampoules, carrelages typiques des habitations bon marché des années 70, ferronneries, etc. Elle ne sculpte pas un catalogue archétypal de notre espace domestique ; elle donne au contraire une individualité à chacune de ses pièces, sérielles comme uniques. Ses installations s’apparentent à des souvenirs, à des répliques singulières et des reliques désacralisées. 

Modulation de surface I, 2016 – Grès noir, colsons
Paysage en déclinaison, L’Escaut Architecture
Avec le soutien de la Direction des Affaires Culturelles des Pays de la Loire
Antipareidolie – 2017 – Papier, aquarelle
Ma quête au pied du mur, Collectif BLAST, Angers / Résidence L’H du Siège

Ce sentiment de bouleversement doux et implacable est rendu possible par l’engagement physique de l’artiste. Chloé Jarry renoue avec l’historique et étroite relation entre artistes et artisans, c’est en tant que technicienne aguerrie qu’elle agit. Cette technicité sou-tend une très forte proximité de l’artiste avec la matière de ses œuvres. Elle modèle chacune de ses productions à la main, même dans le cas d’effet deseuil(2017), pièce composée de 1436 tomettes en grès mêlés. Certaines créations conservent littéralement son empreinte (M’amarrer, 2017). L’investissement physique de Chloé Jarry se retrouve également dans le format de ses aquarelles, celles-ci pouvant dépasser les deux mètres. Cette tâche minutieuse et monumentale confère à ces dessins un aspect architectural : les initiaux motifs de carrelage deviennent lés de tapisserie (Antiparéidolie, 2017). Tout le corps de l’artiste s’implique dans sa création ; pour appréhender l’humidité d’une terre cuite, Chloé Jarry approche ses lèvres, surface cutanée beaucoup plus sensible que le bout de nos doigts. Dans le cadre de son travail sur les motifs des azulejos, elle déambule dans les rues lisboètes, ses pieds guident son appareil photographique. Elle redessine ensuite ses prises de vue afin de réaliser sa sélection, le geste de sa main détermine l’œuvre future.

Effet de seuil – 2017 – Grès mêlés
Effet de seuil, Centre d’art Bastille, Grenoble / Résidence Moly Sabata
M’amarer – 2017 – Grès noir
Effet de seuil, Centre d’art Bastille, Grenoble / Résidence Moly Sabata

Chloé Jarry ne se présente pas comme démiurge de son univers, au contraire elle travaille en collaboration avec terres et émaux laissant libre cours à leur plasticité intrinsèque. La barbe des radiateurs en biscuit de faïence est conservée (calorifère,2016). L’accident fait aussi pleinement partie de son travail, avec humilité Chloé Jarry expérimente et répète une opération si nécessaire. 

Calorifère – 2016 – Biscuit de faÏence
Carte blanche, Edmond multiples/éditions, Galerie Artconnexion, Lille

La relation de Chloé Jarry au quotidien -thème central de ses productions- ne correspond pas à une engourdissante monotonie, elle veille à renouveler sa perception et celle des publics. Ses expositions sont pensées en dialogue avec l’espace de monstration. Notre regard est amené à sans cesse se réajuster, nous faire baisser ou au contraire lever les yeux au plafond. Le collimateur est cet instrument d’optique permettant la réalisation de pointages précis. Plutôt que de se focaliser sur ce qui nous semble central, Chloé Jarry nous invite avec générosité à dévier notre point de vue, à considérer l’espace qui nous entoure avec une nouvelle délicatesse et découvrir, pourquoi pas, que la marge s’avère riche et féconde.

Léa Cotart-Blanco

www.chloejarry.com