Yoon

"de la sève au fruit"

installation sonore

du 17 janvier au 4 février 2006


Yoon

Née à Séoul

Formation
2003Post-diplôme : École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris (ENSBA)
2002DNSAP, mention très honorable avec les félicitations du jury à l'unanimité, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris (ENSBA), atelier de Richard Deacon
2000-01Étudiante en échange, Hunter College, New York
1998-99CEAP, École Nationale des Beaux-Arts de Dijon (ENBA)
1996Diplôme d‘Art Céramique, Université de Séoul, Corée du Sud
Expérience professionnelle
2002École Supérieure des Arts Appliqués Duperré, Paris - Intervention dans le département de céramique
2000Maître de stage de «Raku» à l'ENSBA
2005L'ESCALE - Professeur, atelier poterie et dessin
2005École d'Art Contemporain Camille Lambert - Professeur, atelier sculpture
1999-00Foyer Guillaume Tell, Paris - Cours de dessin et peinture
2000Turin, Italie, Assistante privée, professeur G. Penone, sculpteur
1996-97Université d'Hanyang, Séoul, Corée du Sud - Assistante dans la section d'art céramique
Bourses et expositions
2006Centre culturel «L'Escale», Levallois
2006Galerie du Haut-Pavé, «De la sève au fruit (II)»
2005Hôpital Corentin-Celton, Chapelle Saint-Sauveur, «De la sève au fruit (I)» - Exposition avec l'ensemble musical SPIRALES
2003Musée de Châteauroux, France, 12ème Biennale Céramique Contemporaine
2003Centre Culturel des Étudiants de Belgrade et Ecole des Beaux-Arts de Belgrade - Exposition, Belgrade, Yougoslavie
2003Couvent des Cordeliers, Paris, «pas n‘importe où, juste à côté»
2003Center de las Artes, Merida, Mexique, «Gerda's garden»
2003Bourse pour artistes UNESCO-Aschberg - Résidence à la Fondation Gruber Jez, Cholul, Mexique
2002Bourse «Terra Foundation for the Arts», USA et France - Résidence au musée d'Art Américain, Giverny
2002Musée d'Art Américain, Giverny, France - Exposition
2002Bourse Colin-Lefrancq, New York
2001Art Gallery, New York - Exposition Bertha and Karl Leubsdorf
1999École des Beaux-Arts, Dijon - Exposition

Yoon est musicienne. Yoon sculpte. Yoon dessine. Tout est dit dans cette triple constatation. Et pourtant, que de choses à dire encore...
La fusion de la musique et des arts visuels est un fantasme probablement aussi vieux que notre monde. Richard Wagner ne visait à rien de moins avec son utopie de Gesamtkunstwerke. Alexandre Scriabine essayait, à travers un clavier lumineux couplé à celui du piano, d'associer étroitement couleurs et sons. La peinture d'Arnold Schönberg ne relève pas de la pratique d'amateur et sa connaissance éclaire singulièrement la compréhension de son oeuvre musicale. Savoir que Paul Klee était violoncelliste fait mieux comprendre son oeuvre graphique. Henri Dutilleux fait référence à la peinture de Vincent Van Gogh et Pierre Boulez à celle de Paul Klee... Les illustrations des traités théoriques de Wassily Kandinsky ont la rigueur et la précision de l'écriture musicale. La partition des Archipels d'André Boucourechliev a l'aspect et la présence visuelle d'une oeuvre graphique... Rien à voir avec le violon de Monsieur Ingres...
Olivier Messiaen a porté au paroxysme cette association des sons et des couleurs - ces synesthésies -, dans des oeuvres au chromatisme - musical et pictural - chatoyant. Chronochromie, 1960, pour orchestre, constitue, à mes yeux, un des sommets de son art : couleur du temps...
Chez Yoon, ce n'est pas tant la couleur que la ligne qui est mise en avant, singularisée, multipliée, mise en partition, en une sorte de musique abstraite qui reste cependant silencieuse. Dire que la musique est l'art du temps, la sculpture celui de l'espace et le dessin celui de la surface relève du truisme. Yoon, cependant, sculpte le temps tout autant que l'espace, dessine le temps, tout autant que la surface.
Dans son oeuvre, la ligne est primordiale, à l'origine de tout, une sorte d'Ur-Element, tel le long accord tellurique, en mi bémol majeur, qui ouvre Rheingold et qui porte en germe toutes les lignes mélodiques, - les Leitmotive - qui vont se développer ensuite pendant les quatre volets de la Tétralogie. L'oeuvre de Yoon se nourrit de la terre, que ce soit le matériau initial de ses céramiques ou le sol dans lequel s'enfoncent les racines, si présentes - explicitement ou implicitement - dans ses oeuvres. De cette terre nourricière jaillissent les lignes qui irriguent, sous-tendent, structurent et justifient ses sculptures et ses dessins.
De ligne et de musique, il est question partout, dans la production de Yoon. Dans Sans titre (pour Louis), 2002, les oreilles en métal, suspendues, constituent une forêt de noires et de croches, une sorte de partition spatiale dans laquelle l'écriture verticale aurait été transposée en profondeur, en épaisseur. La surface bidimensionnelle du papier à musique se trouve donc spatialisé, comme s'il s'agissait d'une première exécution, graphique avant d'être sonore. La ligne musicale de la partition subsiste, est presque lisible, mais elle est démultipliée, déployée dans l'espace, en une musique silencieuse... Une musique pour l'oeil...
Cette pièce, impressionnante et spectaculaire, a aussi des qualités quasiment végétales, comme la frondaison d'un grand arbre, peut-être L'arbre des songes d‘Henri Dutilleux... On ne peut aussi s'empêcher de penser à des sonnailles démesurément agrandies, qui, n'attendent qu'un souffle du vent ou l'intervention du spectateur pour produire des sons.
De la sève au fruit, 2005, déploie une ligne sinueuse faite de gaines électriques jaunes, embouchées de rudimentaires pavillons multicolores. On pourrait considérer cette pièce comme un gigantesque instrument de musique, essentiellement passif, résonateur, déformant et diffusant la sonorité des instruments placés aux abords des pavillons. Mais cette installation est musicale sous bien d'autres aspects. Les gaines sinueuses sont striées et percées. Striées comme un accordéon ou un bandonéon. Percées comme le corps d'une flûte ou d'un hautbois. Les pavillons, sommaires, évoquent les gramophones primitifs et improbables, de ceux dont j‘écrivis, il y a presque quarante ans :
Dans le gramophone rupestre,
le loriot érectile lignifie le plancton.
Son plain-chant proxénète déifie
la plasticité globulaire
des nidifications glauques.
Pas de nid d'oiseaux, en effet, dans cet arbre en matière synthétique, mais bien des façons, cependant, de produire des sons ou de les multiplier.
J'y vois aussi la ligne sinueuse mais maîtrisée que décrit le bout de la baguette du chef d'orchestre dirigeant un contrepoint complexe, par exemple la superposition des trois rythmes de la danse sacrale qui conclut Le Sacre du printemps d'Igor Stravinsky.
Et puis n'oublions pas le titre. De la sève au fruit, il ne peut s'agir que d'un transit nourricier qui, à travers les veines, les lignes du bois - on dit ligneux de la nature du bois -, apporte le liquide vital de la terre primitive aux fleurs qui deviennent fruits puis graines. La ligne, invisible et virtuelle cachée au sein de la ligne visible, apporte donc vie et épanouissement, floraison et fructification.
De graine il est apparemment question dans les céramiques de For those who have Ears, 2003. On peut aussi y voir des derboukas nonchalamment abandonnées au sol ou, pour les pièces plus petites, percées, des ocarinas. Mais, à y regarder de plus près, elles sont encore plus que cela.
Certaines portent des lignes, en spirale, qui les définissent, à la façon dont un concepteur de pièces mécaniques complexes - comme une aile d'avion - produira une épure préalable fil de fer de son projet. Chez Yoon, les pièces en céramique sont porteuses à la fois de leur épure et de leur concrétude, simultanément en devenir et en réalité, finitude et incomplétude, projet et réalisation... Tout comme la graine n'est que graine, mais est déjà aussi potentiellement l'arbre et le fruit qu'il portera, avant de redevenir graine, faisant ainsi se refermer la ligne sur elle-même, dans une cosmogonie sans nostalgie ni trop de place pour l'imprévu, pour l'improvisation. Nous sommes ici dans le domaine de la musique écrite, durchkomponiert.
Dans les céramiques de Yoon, il en est comme de l'instrument frappé - derbouka - ou soufflé - ocarina - porteur potentiel des rythmes ou des lignes mélodiques que l'interprète voudra en sortir. Notons d'ailleurs, en guise de clin d'oeil, que les instruments frappés sont porteurs de la ligne qu'ils ne savent pas produire, tandis que ceux qui sont soufflés n'en portent pas, probablement parce qu'ils savent les générer d'eux-mêmes.
Cette forme de détournement de sens et d‘usage me fait penser à la musique de Helmut Lachenmann, musique concrète instrumentale, selon ses termes. De ce point de vue, les céramiques de Yoon appartiennent à la famille de la sculpture concrète instrumentalisée.
Les dessins de Yoon naissent tous d'une ligne, unique, horizontale. Cette ligne se développe en vagues pour dessiner des formes végétales, des rhizomes - Rhizomes (Assonance VIIb), 1993 pour deux percussions, deux pianos et électronique, partition de Michael Jarrell - qui prolifèrent de façon organique pour remplir toute la feuille. On peut aussi y voir la représentation graphique de spectres sonores.
Ligne et musique... Tout l'art de Yoon peut être résumé dans ces deux termes...
Toute ligne est bidirectionnelle. Elle va en avant, à la manière de la lecture de l'écriture musicale, mais permet aussi les retours en arrière, les reprises ou le da capo. C'est une façon de mesurer le chemin parcouru, de se retourner vers le passé. Les Égyptiens, dans leur écriture en boustrophédon, alternaient les deux sens d'écriture et de lecture. Chez eux, le retour en arrière n'avait donc rien de la répétition ni du regard nostalgique.
Il en est de même dans l'oeuvre de Yoon. Sa ligne, graphique et musicale, dessine un parcours flexible et sinueux, suggère l'espace physique et sonore, mais jamais ne s'alanguit ni ne suscite la nostalgie. Elle est dynamique, bidirectionnelle, structurante et décisive, marquée et suggestive.
Avec ses lignes proliférantes et végétales, nourricières et sonores, Yoon sculpte l'espace et le temps, là où le musicien ne sculpte que le temps.

Louis Doucet, janvier 2005

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