Antoine LANGENIEUX- VILLARD

Ma pratique de la peinture repose sur deux points fondamentaux : la surface comme lieu à construire et le dispositif technique d’où la forme émerge. À travers différentes méthodes d’assemblage et de pliage, je pense au geste et à son ancrage dans la toile. Je cherche des stratégies qui mettent en retrait le rôle de la main pour parvenir à un tableau en évitant toute préconception.

L’activité de l’atelier vacille entre coloration, déconstruction et réparation. C’est un processus autonome de recyclage. Dans la série Abrasée, les peintures sont travaillées au sol, libres de leur chassîs, avant d’être pliées et trempées dans des bains de couleurs, puis séchées et enfin dépliées. Je remplace le pinceau par du papier de verre. Semblable au geste du sculpteur, j’enlève et soustrais de la matière des deux côtés de la toile réalisant à l’aveugle un réseau de lignes. En abrasant la surface, je plonge dans sa profondeur et son volume pour finalement révéler le mouvement des gestes antérieurs. Au cours de ce long processus, le matériau s’altère et se détériore lentement créant la nécessité de le réparer.

Telle une seconde main, pièce par pièce, je reconstitue la surface grâce à des techniques de couture et de collage empruntées notamment à la tradition textile japonaise du boro. Au verso, je place des bandages fabriqués à partir de résidus de toiles. L’étape de réparation préserve les traces antérieures établissant la surface comme une membrane. Je laisse le travail du hasard et du temps créer ses propres effets. Ce qui se cache, ce qui est manquant, est nécessaire à la vie des choses. Le visible est fragmenté comme la mémoire où l’envers refait surface.

Antoine Langenieux-Villard (né en 1991) vit et travaille entre Bruxelles et Paris.
Après avoir étudié le dessin académique à la Florence Academy of Art, Antoine obtient une licence à la Central Saint Martins. À sa sortie, il reçoit plusieurs prix dont le Kate Barton Painting Prize (2017), le Clyde and co Award (2017), the Queen Scolarship Award (2016), et le Phoebe Llewelyn Smith Award (2016). Il a eu l’honneur, toujours étudiant, de montrer son travail au British Museum en 2017 après avoir suivi un séminaire organisé par la Fondation Bridget Riley (Drawing on not knowing).
Ses oeuvres ont été exposées en Allemagne au Musée Wihelm Morgner ( Multilayer – Soest,2020), en Belgique à Adaventura (Au fond c’est flou – Bruxelles, 2020), en Angleterre (ArtHouse I, County Hall Gallery, Thameside Studios, Griffin Gallery), en Ukraine au Centre d’Art Moderne (Immediate Effect – Kiev, 2019). Son travail a été présenté en Italie lors de la foire Artissima (Loom Gallery – Turin, 2023). En 2024, ALV présente sa première exposition personnelle à Paris (Galerie du Haut-Pavé – mars 2024) et une autre, début mai à Milan en Italie avec Loom Gallery.

« La première fois que j’ai visité l’atelier d’Antoine, c’était par une fin d’après-midi étouffante de la mi-juillet. Dans la rue principale, là où donnait l’entrée, se déroulait une grande foire avec un immense parc d’attractions. Partout il y avait de la musique et des effluves de barbe à papa, mais une fois le seuil franchi, on était dans un autre monde. Des centaines de toiles colorées étaient collées dans la pièce, sur les murs, pliées au sol et disposées sur diverses tables, dans un désordre sensible et silencieux. Dès que les toiles chutent des murs, Antoine commence à travailler dessus. C’est le signal, le point de départ aléatoire qui suspend l’atmosphère dans un état d’alerte perpétuel, rendant l’atelier bien plus magique que la galerie des glaces du Luna Park ».

«The first time I visited Antoine’s studio was on a sweltering late afternoon in mid-July. On the main street, where
the entrance faced, a large fair with an immense amusement park was underway. Everywhere there was music and the scent of cotton candy, but once you crossed the threshold, you were in another world. Hundreds of colourful canvases were glued around the room, on the walls, folded on the floor, and arranged on various tables,
in a sensible and silent disorder. As soon as the canvases peel off the walls, Antoine begins to work on them.
That’s the signal, the random starting point that suspends the atmosphere in a perpetual state of alertness, making the studio much more magical than the Luna Park’s hall of mirrors ».

Texte écrit / written by Nicola Mafessoni,
Commissaire d’exposition et galeriste / curator and galerist
Extrait « Un désordre silencieux et sensible» / Extract from « A sensible and silent disorder »