Jonathan BABLON

« La saveur du divers »

Exposition du 7 novembre au 2 décembre 2023

Vernissage mardi 7 novembre du 18h à 21h

L’évolution du vivant et des sociétés sont des domaines que Jonathan Bablon explore lors de son parcours à l’École des Beaux-Arts de Tours qu’il achève en 2012. Depuis, il poursuit une pratique au travers des médiums du dessin, de la sculpture et de l’installation. En 2013 suite à une résidence à Kona en Inde, une première approche des matériaux naturels l’emmène vers une réflexion écologique qu’il est amené à mettre en place avec plus d’attention lors d’une résidence à Mode d’Emplois en 2014. Après plusieurs expositions dans des centres d’art en France, il poursuit ses recherches artistiques en résidence (2022 à l’Usine Utopik, 2023 à la With Artist Foundation en Corée du Sud).

Les lectures théoriques concernant les relations de la culture humaine à la nature ont alimentées la pratique artistique de l’artiste afin de chercher, par le domaine des arts visuels, une manière de répondre à l’actualité contemporaine et environnementale.

Interpellé par les rapides et innombrables mutations qu’a entraînées le progrès fulgurant de l’ingénierie scientifique sur le vivant, Jonathan Bablon crée des fragments de paysages hybrides à l’identité indéfinissable. Avec méthodologie et précision, il compose ses dessins, sculptures et installations en faisant s’imbriquer et fusionner des détails formels empruntés à des mondes contradictoires, tantôt organiques et naturels, tantôt technologiques et artificiels.

Les écosystèmes élaborés par Jonathan Bablon puisent dans l’esthétique singulière de l’imagerie médicale et de la maquette d’architecture. Fasciné par les schémas anatomiques utilisés à but pédagogique, il révèle dans sa pratique le regard porté par l’humain sur sa propre matérialité et sur celle du monde actuel. Par un jeu d’échelles allant du micro au macroscopique, et par une palette de couleurs stéréotypée, ses œuvres incitent l’imagination à franchir la frontière de la première couche, qu’elle soit épidermique ou géologique. En explorant ainsi l’intérieur des êtres et des paysages, on découvre d’étonnantes ressemblances entre le système biologique et mécanique. À l’ère de l’hyper-technologisation de la société, les deux en viennent toujours plus à se confondre, se métamorphosant l’un au contact de l’autre, repoussant toujours plus loin les limites de nos perceptions et de nos normes éthiques. […]

Dans le prolongement de ces questionnements, l’artiste pose désormais son regard du côté du végétal et de la culture maraîchère. Il explore alors le potentiel formel des modifications génétiques qu’a engendrées l’industrie agro-alimentaire. Ses séries Il y aura toujours des tomates et Le fond de l’air est encore chaud représentent, quant à elles, d’étranges plants de tomates et d’autres fruits et légumes cultivés hors sol, au sein d’environnements désertés ou de dispositifs industriels monumentaux.

Les possibilités créatives du dessin laissent la place à la récente installation Fruits Prétendus, constituée de troncs d’arbres maintenus à l’horizontal par un système de béquilles métalliques. A la surface, la mousse verdoyante est alimentée artificiellement par un réseau de tuyaux qui, telle une perfusion médicale, suit le déploiement des branches depuis des aquariums pour maintenir en vie le végétal. Cet ensemble présente des céramiques fichées sur des branches : des espèces potagères en pleine mutation, dont on reconnaîtra l’aspect de certains fruits et légumes traditionnellement présents sur nos étalages toute l’année, tels que courgettes, concombres, maïs ou poivrons.


Chaque assemblage propose une hybridation unique, au sein de laquelle certaines parties intérieures seront dévoilées à la manière d’une intervention chirurgicale qui laisserait apparaître des viscères fourmillant d’artères et de fluides corporels. Symptomatiques d’une posture anthropocentrée où l’humain s’impose en maître incontesté du vivant, ces représentations maraîchères questionnent les limites de son pouvoir de domestication et de contrôle sur le vivant.


Entre l’artifice de la céramique permettant d’exacerber les géométries et les couleurs, et l’organicité sinueuse des troncs et des mousses, l’artiste invite à repenser l’idéologie computationnelle appliquée systématiquement par la société à son environnement. A l’image des expériences de croisements et d’autres manipulations génétiques réalisées en laboratoire, l’installation guidera ainsi le visiteur au cœur d’une nature biotechnologique à l’apparence à la fois inquiétante et séduisante.

Alors que l’humain n’est jamais représenté explicitement, Jonathan Bablon convoque sa présence à travers l’impact visible de ses actions. Dans une approche spéculative, il explore les possibilités formelles de ce retournement de situation où, tel que l’a affirmé le physicien Étienne Klein en 2018, “c’était comme si le progrès s’était émancipé de nos propres désirs et échappait à toute maîtrise” (1).



Licia Demuro (septembre 2022)

jonathanbablon.com

Sarah Krespin

« Mutation »

Exposition du 26 septembre au 21 octobre 2023

Vernissage mardi 26 septembre de 18h à 21h

Mutation, 2019, Tissage cuivre et coton teint en ikat, 20 X 125 X 25 cm

Sarah Krespin, dans ses sculptures tissées, ses Mutations, apparemment molles, fait écho aux incertitudes et aux craintes de notre époque. Ni figées ni libres, mais comme prises dans des spasmes convulsifs, elles procèdent des trois règnes : minéral, végétal et animal. De sa formation à l’École Duperré, elle a gardé un tropisme pour le tissu, souple mais rigidifié par le recours à une armature en fil de cuivre qui en fige la forme et en fait le monument mémoriel d’un geste unique, non reproductible, qui, même si elle voulait le répéter, ne produirait pas des résultats semblables. […]

Le hasard tient une grande place dans le travail de Sarah Krespin. Au-delà d’une impulsion initiale, ses oeuvres semblent laissées à leur propre évolution organique, que l’on imagine non maîtrisée, imprévisible, à laquelle le spectateur aimerait contribuer en brisant le tabou du noli me tangere muséal. Le titre même de ces pièces, Mutation, porte en lui cette notion de lente évolution génésique, d’une oeuvre à l’autre, mais aussi de chacune d’elle dans ses monstrations successives. Certains y verront des fossiles de temps immémoriaux, d’autres d’improbables chrysalides d’où émergeront des êtres insoupçonnés, certains encore, plus prosaïquement, des serpillères étreintes pour en évacuer l’eau, d’autres, enfin, les reliques d’une activité humaine rendue indéchiffrable par les affronts du temps. Le spectateur reste définitivement indécis devant ces objets hybrides qu’il peine à identifier et auxquels il n’arrive pas à attribuer une fonction ni une raison d’être.

Mutation (détail), 2023, Tissage cuivre, coton, aluminium, 600 x 250 cm

Organiques et évolutives, les structures, apparemment figées, mais potentiellement vivantes, de Sarah Krespin évoquent le caractère cyclique de certaines transformations du règne animal, notamment le processus de desquamation chez des reptiles. On peut les lire comme des mues de serpents de grandes dimensions, lesquelles suscitent simultanément attraction et répulsion. On pense aux vers de Boileau :

« Il n’est point de Serpent, ni de Monstre odieux

Qui par l’art imité ne puisse plaire aux yeux.

D’un pinceau délicat l’artifice agréable

Du plus affreux objet fait un objet aimable. »1

Les témoins, 2021, Pastel sur impression photographique, 24 X36 cm

Reliques d’un serpent humanisé, qui renvoient à l’Homme, comme le souligne Giraudoux, mais aussi traces d’un geste unique, celui de l’artiste, dont l’incomplétude définitive, dûment assumée, appelle une suite, une continuation laissée à l’initiative du regardeur…

Si l’on veut oser une analogie scientifique, les travaux de Sarah Krespin ressortissent à une physique des états intermédiaires. État mésomorphe, matière molle… sont, en effet, des termes qui pourraient s’appliquer à ses sculptures tissées. Il en résulte, chez le spectateur, un sentiment d’incertitude, d’instabilité, d’indéfinition, de non-fini, d’un entre-deux difficile à appréhender dans son intégralité. Les formes proposées au regard semblent mouvantes, malléables, fugitives, incertaines, en perpétuelle redéfinition, à la recherche d’une stabilité, d’une assise qu’elles récusent cependant.

Louis Doucet

1 In L’Art poétique, 1674.

www.sarahkrespin.com

Yoann XIMENES

« Sound System(s) »

Exposition du 6 juin au 2 juillet 2023

Vernissage mardi 6 juin 2023 de 18h à 21h

Né à Perpignan et vivant actuellement à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), Yoann Ximenes a un parcours atypique mais construit. Diplômé en langues étrangères, puis en ingénierie culturelle et finalement en « Art Contemporain et Nouveaux Médias » à l’Université Paris 8, l’artiste articule son travail autour de la communication et de sa mise en forme. Chargé de cours à l’Université Paris 8 pendant 5 ans il a été l’un des assistants de production au sein de l’atelier de l’artiste Carlos Cruz-Diez. Entre autres il remporte en 2015 le Prix Yicca à Rome, représente la France lors de la Biennale Mediterranea #18 à Tirana (Albanie) en 2017 et reçoit en 2020 le 1er prix de la Fondation Charles Oulmont.

L’artiste mène une recherche poétique fondée sur l’observation du phénomène sonore. Il met en scène ce que l’on ne peut voir ; que ce soit les discours politiques ayant forgé le monde moderne, la guerre des mots dans le conflit israélo-palestinien, le 1er cri du 1er bébé éprouvette, la naissance de l’Univers en Égypte Antique, le chant de planètes ou la perte de biodiversité. Ses œuvres confondent les stimuli sensoriels, imbriquent  le sonore et le visuel qui se répondent, tel un écho de la forme. Les recherches de l’artiste explorent les énergies sonores dans le processus créatif afin de questionner notre appréhension du monde.

Sound System[s]

En quelle mesure l’univers sonore façonne le monde physique et influence notre appréhension de la réalité ?

Il est un fait indéniable aujourd’hui : nous vivons sur une planète vibrante, dans un univers en vibrations. La Science ne cesse fournir des preuves, de ce que Hans Jenny[1] explicitait dans les années 60 : « À chaque fois que nous observons la Nature, animée ou inanimée, de nombreux éléments attestent des systèmes périodiques »[2]. Depuis la plus petite échelle jusqu’à la plus grande, les choses de l’univers existent par périodicités, pulsations, oscillations et vibrations. Ça sonne dans tous les coins. Le son est une énergie invisible et immatérielle qui n’existe que s’il y a un corps pour le diffuser. Il est la conséquence d’un mouvement de matière qui le révèle et l’incarne ; sans elle aucune périodicité, pulsation, oscillation et vibration ; aucun son.

Dans cette exposition intitulée « Sound System[s] » l’artiste aborde l’importance de la communication et de sonorités dans notre compréhension du monde. Ici différents échos résonnent ; la parole des hommes politiques qui influence notre monde vulgairement dénommé le « système » ; le cris des oiseaux éradiqués au sein de leur écosystème ; et enfin la mélodie du système solaire.

Il nous présente une partie de son projet « Mantras » ; interprétation contemporaine de la Création, appréhendée comme un « work in progress », dans lequel il aborde notre civilisation actuelle, caractérisée par une cacophonie incessante (infos 24/24, moyens de communication à outrance, paroles creuses, paroles avant réflexions, …) qui se déleste du mot juste et précis. Pourtant, les mots métamorphosent le monde. Persuader les foules pour emporter l’adhésion, convaincre pour faire la décision, communiquer avec acuité pour transmettre, … : autant d’actions qui nécessitent un discours calibré au millimètre. S’ils sont justes, les mots deviennent des armes, des passions, …

Cette omniprésence de la communication humaine, intra-espèce, vient se mesurer à la communication inter-espèces, entre nous et le vivant animal. La série « Souvenir from Earth » entend montrer comment depuis l’enregistrement de biotopes on peut constituer un langage musical et le mettre en scène plastiquement afin de construire une œuvre politique engagée pour la conservation des écosystèmes. Rendre visuellement palpable des chants d’oiseaux disparus, permet d’éveiller une émotion plus forte qu’une simple liste de noms. « Souvenir from Earth » est une série de sculptures en charbon, insérée sous cloche à la manière des taxidermies, illustrant chacune un chant d’espèce aviaire fossilisé, à tout jamais perdu.

Enfin des photographies retravaillées à la dorure de son installation audiovisuelle « La symphonie des vagabonds », déambulation mystique que nous entretenons avec le cosmos, ouvre un dernier volet spirituel de cette exposition.


[1]Hans Jenny était un physicien et un naturaliste suisse qui a inventé le terme de Cymatique pour décrire les effets acoustiques des phénomène d’ondes sonores.

[2]« Whenever we look in Nature, animate or inanimate, we see widespread evidence of periodic systems. » in Hans Jenny, Cymatics : A Study of Wave Phenomena and Vibration, éd. Macromedia, 2007, p.15