Elissa Marchal

Elissa Marchal
Assemblages

 

Exposition du 16 avril au 25 mai 2013


détail, bâtons, 2007
assemblage 19, 2013
assemblage 13, 2012
assemblage 11, 2012

ÉLISSA MARCHAL – UNE DIMENSION D’AVANCE

« Quand j’aurai cent dix ans, je tracerai une ligne et ce sera la vie. » Hokusai

Dans un des ouvrages phare de l’histoire de l’esthétique du XXe siècle, Punkt und Linie zu Fläche(1), Kandinsky théorise et vulgarise simultanément les rôles du point et de la ligne dans leur rapport avec le plan originel(2) du tableau. Son analyse ne procède pas de l’extérieur vers l’intérieur, mais s’intéresse à l’effet de l’intérieur de l’œuvre sur la subjectivité, sur la sensibilité de l’observateur. Pour lui, le point est l’élément originel, fruit de la surface vide, l’horizontale est froide, base porteuse,  silencieuse et noire, la verticale active, chaude et blanche, tandis que les obliques sont mouvantes et colorées, bleues et jaunes. La surface elle-même est lourde en dessous, légère au-dessus, distante à gauche et proche à droite(3).

Élissa Marchal ne peut ignorer ces données fondatrices de la philosophie de l’art moderne, mais elle se fait un malin plaisir de les détourner, de les subvertir. Trois séries de ses travaux récents montrent une progression dans cette démarche de remise en cause de la surface kandinskienne et de l’inéluctable affranchissement de la peinture du carcan de la bidimensionnalité : les Sédimentations, les Assemblages et les Structures.

———————

Les Sédimentations, se présentent, le plus souvent, comme des installations de barres colorées   verticales, fixées au mur, peintes d’une couleur uniforme, en générale vive, sur laquelle apparaissent, dans leur partie centrale, des successions de lignes horizontales, fines, denses, colorées, empilées comme autant de couches géologiques(4). La finesse de la barre verticale contraste avec l’horizontalité des strates, contredisant le postulat de Kandinsky sur le caractère actif de la verticale – traditionnellement considérée comme masculine – et la prétendue passivité de l’horizontale – féminine –. Le système est strictement orthogonal, mais la variété dans la longueur des barres et leur accrochage à des hauteurs différentes génèrent, en bordure des installations, des lignes courbes, sinueuses, qui confèrent une dynamique spatiale à l’ensemble.

Il faut entrer dans la cuisine de l’artiste, dans le mode de réalisation de ces pièces, pour réconcilier l’apparente incohérence de son propos avec ce que l’Histoire de l’art nous a laissé. De fait, Élissa Marchal part de grandes toiles sur lesquelles elle laisse couler des filets de peinture. Ce sont eux qui, sous l’effet de la gravité, créent des lignes qui sont alors verticales. Méticuleusement, l’artiste    répète son geste en nuant les couleurs dont le rendu brillant résulte de l’emploi d’un liant vinylique. Elle doit attendre que chaque ligne sèche, avant de passer à la suivante, pour s’assurer qu’elles ne se chevauchent pas. Elle découpe ensuite les toiles, les fait pivoter de 90 ° et les fixe sur des caissons oblongs, effilés, transformant un phénomène d’écoulement vertical actif en illusion d’une stratification passive, d’une sédimentation.

Les lectures sexuelles de son propos sont potentiellement nombreuses, probablement contradictoires. Elles reflèteront plus les points de vue du spectateur que celui de l’artiste. Ce qui importe, dans ces travaux, c’est la volonté d’une neutralité affective et sensuelle vis-à-vis du matériau peinture et de ses caractéristiques. Cet effort de distanciation vise à débarrasser la peinture de tout un fatras d’idées préconçues, de principes arbitraires et de préjugés désuets. Dans certaines œuvres de cette série, Élissa Marchal est même allée jusqu’à remplacer la peinture par des fils à scoubidou colorés, alignés côte à côte, s’approchant ainsi de l’esthétique des artistes du groupe ready-made color /la couleur importée(5) dont elle partage, consciemment ou non, certains points de vue post-duchampiens sur la matérialité de la peinture.

Les Sédimentations réalisent donc la transsubstantiation du matériau peinture en lignes, des lignes en surface, des surfaces en volumes. Le tout dans un geste qui se veut distanciant, dé-sensualisé, neutre, essentiellement efficace, et qui transfère sur  le spectateur la responsabilité de charger les œuvres résultantes d’affectivité, de signification, de sens, de sensualité… En cela, elle rejoint bien Kandinsky qui récuse toute objectivité et exalte la subjectivité : l’œuvre n’a de sens que de son intérieur  vers l’extérieur, et uniquement dans l’acte de perception par un spectateur actif.

———————

Dans sa série des Assemblages, Élissa Marchal remet verticale et horizontale sur un pied d’égalité et revient à la tradition du tableau. Les pièces s’inscrivent dans un rectangle, invitant à une lecture frontale. Très rapidement, le spectateur découvre cependant que ces tableaux n’en sont pas, qu’ils ont une profondeur, une troisième dimension. Ils sont en effet constitués par un treillis de lignes colorées, disposées dans un système inflexiblement perpendiculaire. Ces lignes sont des tasseaux de bois, laqués et vernis, qui affectent l’aspect d’une céramique vernissée. L’artiste a longuement expérimenté pour trouver un traitement de surface qui leurre l’observateur. Là encore, il s’agit de coulures, de gravité et de fluidité. Elle fait couler la peinture liquide sur une des faces du tasseau, la laisse sécher, puis la vernit, avant de procéder de la même façon, avec une autre couleur,  successivement sur chacune des autres faces.

Mais la surprise ne s’arrête pas là. En s’approchant de la pièce, on constate simultanément qu’elle a trois dimensions et qu’elle s’appuie sur un miroir. La structure est suffisamment dense pour que le miroir ne reflète pas l’image du spectateur ni celle de son environnement mais seulement la partie cachée, le revers des tasseaux du treillis et leurs couleurs, différentes de celles de la face présentée vers l’avant. Si l’on s’écarte un peu vers la droite ou vers la gauche, on découvre l’épaisseur de la structure et d’autres jeux de couleurs, celles des extrémités des tasseaux et celles des faces latérales. Et puis, on se rend compte que les tasseaux ne sont pas tous inscrits dans un rectangle imaginaire et qu’ils délimitent un espace aux frontières sinueuses.

La plus impressionnante de ces pièces présente, quand on la regarde de face, un treillis blanc, dense, chromatiquement très minimaliste, mais révèle un chatoiement de couleurs vives dès que l’observateur s’écarte de la perpendiculaire au plan du tableau. C’est l’antithèse de ce qu’Yves Bonnefoy écrit dans un de ses plus beaux poèmes :

Et la surface de l’eau n’est que lumière,

Mais au-dessous ? Troncs d’arbres sans couleur, rameaux

Enchevêtrés comme le rêve, pierres

Dont le courant rapide a clos les yeux

Et qui sourient dans l’étreinte du sable.(6)

Tout ceci suscite une envie de transgression, de traverser le plan du tableau pour se rendre, telle l’héroïne de Lewis Carroll, de l’autre côté du miroir et de découvrir le revers de cet univers dont la vie paraît si coruscante. Élissa Marchal a anticipé ce désir, cette pulsion, en nous proposant, tout juste à côté, une pièce qui est, en quelque sorte, le négatif de la première. La partie touchant la glace est présentée face au spectateur et le blanc est maintenant du côté du miroir, rendant aux lignes de Bonnefoy leur véritable sens. À l’opposé de la démarche d’un Pistoletto qui fait de ses surfaces réfléchissantes un moyen pour intégrer des images planes dans l’environnement qui se situe devant elles, Élissa Marchal occulte ce qui se passe devant l’œuvre et use du miroir pour    révéler le dessous, l’arrière, la profondeur et l’épaisseur de ses peintures.

Cette impressionnante série des Assemblages concentre tout un ensemble de réflexions,    d’oppositions dialectiques et d’interrogations au cœur de l’ontologie de la peinture. Sur le trompe-l’œil, tout d’abord, en faisant de bois peint un ersatz de la céramique vernissée : solide contre   fragile, flexible contre rigide, léger contre lourd… Sur la couleur : le blanc masque puis   révèle la rutilance de l’arc-en-ciel ou, à l’inverse, le chatoiement des couleurs se fond dans la   neutralité du blanc. Géométrique : des parallélépipèdes inscrits dans un rectangle virtuel engendrent un plan aux bordures ondulantes. Sur le rôle du spectateur face à un miroir qui ne lui renvoie pas son image spéculaire mais celle d’un derrière de la peinture. Sur le statut de la peinture : surface plane ou champ d’actions doté d’une profondeur réelle ou simulée ? On pense ici au propos de Hugo von Hofmannsthal : « Il faut cacher la profondeur. Mais où ? À la surface ! »(7). Il y est question de l’avant et de l’arrière du tableau, de son devant et de son derrière, de son haut et de son bas, de son  intérieur et de son extérieur, de son ombre et de sa lumière, du volume et de la masse de sa couleur…

———————

Dans les Structures, le miroir disparaît tout comme le rectangle qui circonscrit l’œuvre. Ce ne sont plus des peintures mais des sculptures. Bien que ces pièces restent tributaires du mur, auxquelles elles sont fixées, elles affirment haut et fort leur tridimensionnalité. Le principe reste cependant le même : des tasseaux traités comme de la céramique vernissée, assemblés en couches successives en des réseaux  perpendiculaires. Pas de mise en abîme par la réflexion du miroir. C’est donc au spectateur de faire l’effort de se déplacer pour découvrir l’envers de la surface apparente de l’œuvre. Très vite, d’ailleurs, cette surface perd de sa présence, au profit de visions multiples, dont les couleurs changent radicalement selon l’angle de vue et la distance du mur. On pense à la boutade d’Ad Reinhardt : « La sculpture, c’est ce contre quoi on se cogne quand on recule pour regarder une peinture. »

On se demande pourquoi le mur reste nécessaire. Élissa Marchal s’est visiblement posé la question, car elle a fait des essais de Structures affranchis du mur, suspendus par un fil dans l’espace ou    placés au sol. Elle a vite renoncé, car, à l’instar des Contre-Reliefs de Tatline, ces constructions ont besoin d’un écran pour la matérialisation d’une quatrième dimension, celle du temps. Les pièces projettent, en effet, une ombre sur le blanc de la paroi, ombre dont la forme se modifie au fur et à mesure du déplacement du spectateur. Abolies, donc, les notions kandinskiennes de lourdeur en dessous, de légèreté au-dessus, de distance à gauche et de proximité à droite. Le haut, le bas, le devant, le derrière, la droite et la gauche deviennent interchangeables, dans un système où les obliques ne sont que les ombres projetées –par conséquent à dominante grise ou noire –, mouvantes, et les verticales et horizontales colorées…

Le temps est aussi perceptible, de façon plus subtile, dans les interférences chromatiques entre les colorations des différents tasseaux. Ces interférences génèrent des battements(8) optiques avec leurs pulsations, surtout à la frontière entre deux surfaces colorées, qu’elles soient physiquement mitoyennes ou rapprochées par le hasard du positionnement de l’observateur. Un pas de côté, en avant ou en arrière, modifie complètement l’équilibre et fait surgir de nouvelles combinaisons avec des phénomènes de résonance(9) dans les périodes transitoires, celles du déplacement du spectateur.

De la ligne à la surface, de la surface au volume, du volume au mouvement… La démarche d’Élissa Marchal n’a pas fini de chambouler les cadres pré-étiquetés et sclérosants des catégories de l’art…

———————

Hokusai, dans sa sagesse orientale, réduisait sa vie à une longue ligne, probablement droite. Élissa Marchal, dans une approche apparemment sage, mais profondément iconoclaste réconcilie  dessin et couleur tout en subvertissant, de l’intérieur, les fondamentaux historiques de l’art occidental. Elle a, en quelque sorte, toujours une dimension d’avance : ses lignes sont surfaces et volumes, ses plans ont une épaisseur et ses volumes flirtent avec la quatrième dimension, celle du temps. Le tout dans une stricte orthogonalité, qui se veut à la fois ascèse, en écho à Pindare : « Le bonheur ne fleurit pas pour ceux qui suivent des chemins obliques. »(10), tout en faisant un clin d’œil du côté d’Alphonse Allais : « Les horizontales(11) se rencontrent dans tous les milieux, les parallèles jamais. »

Louis Doucet, novembre 2012

———————

(1)Du point et de la ligne à la surface, le numéro 9 des Bauhausbücher, 1926.

(2) Considéré comme un être vivant que l’artiste féconde, ibidem.

(3) Der Punkt ist Urelement, Befruchtung der leeren Fläche. Die Horizontale ist kalte, tragende Basis, schweigend und „schwarz“. Die Vertikale ist aktiv, warm, „weiß“. Die freien Geraden sind beweglich, „blau“ und „gelb“. Die Fläche selbst ist unten schwer, oben leicht, links wie „Ferne“, rechts wie „Haus“, ibidem.

(4) La première fois que je les ai vues, l’image de spectrogrammes colorés, pivotés à 90 °, s’est imposée à mon esprit. Ceci est probablement une déformation due à ma formation d’ingénieur.

(5) Créé et théorisé par Claude Briand-Picard et Antoine Perrot.

(6) In Les Planches courbes.

(7)Man muss das Tiefe verstecken. Wo? An der Oberfläche!, in Buch der Freunde.

(8) Le battement, bien connu des musiciens accordant leurs instruments, est une interférence entre deux ondes de fréquences légèrement différentes, laissant percevoir des pulsations.

(9) En physique, un système résonant soumis à une excitation va être le siège d’oscillations de plus en plus importantes, jusqu’à atteindre un régime stable ou jusqu’à la rupture d’un de ses composants.

(10) In Odes isthmiques III.4-6. La traduction retenue par la postérité est très tendancieuse. Le texte originel (Ζεῦ, μεγάλαι δ ̓ ἀρεταὶ θνατοῖς ἕπονται / ἐκ σέθεν: Ζώει δὲ μάσσων ὄλβος ὀπιζομένων, Πλαγίαις δὲ φρένεσσιν / οὐχ ὁμῶς πάντα χρόνον θάλλωνὁμιλεῖ), remis dans son contexte, est traduit par Jean Aloys Perrault-Maynand en O Jupiter, c’est de toi que les hommes reçoivent les grandes vertus; et dans les justes, le bonheur vit durable, tandis que pour les âmes perverses il ne fleurit pas toujours. Perversité et oblicité (πλαγιασμός) y deviennent synonymes.

(11) Les horizontales évoquées par Allais sont, en argot, des prostituées de haut de gamme. Quant à ce que sont ses parallèles, liberté est laissée pour interpréter ce dont il s’agit.

Lydie Régnier

Lydie Régnier
Se confondre exactement

exposition du 19 mars au 13 avril 2013

 

Le sommeil des moutons (l’animal bleu-vert), 2011, dessin aux crayons de couleur sur impression numérique, 23×17 cm
Epicentre 1, 2010, encre sur papier aquarelle, 120×120 cm
Retour à la terre élevée, 2012, céramique, bois 80×150 cm
Pilot II, 2013, stylo Pilot, papier aquarelle,     100×170 cm

C’est exactement dans ce lieu que je trouve le plaisir de me confondre une fois de plus avec le parcours innovant de LYDIE REGNIER. Déjà il y a quelques années, elle était intervenue directement dans la vitrine de cette galerie, que je retrouve investie par cette flottaison de sculptures en céramique. Ces formes brillamment mais troublement colorées, posées sur l’instabilité de leurs courbes, me confondent en me laissant glisser mentalement sur la planéité de ces surfaces qui les couvrent, tout en les décapitant brutalement. La porte franchie je découvre, vue de l’intérieur, des images photographiques qui deviennent sur ces sensuelles formes, de véritables îlots qui peuvent m’évoquer des miroirs. Le glissant de ces images met en lumière des terrains aquatiques, exactement surplombés ici, par ce haut pavé… à quai.

« Le terrain de mes recherches se définit par la constitution d’un environnement, tendu entre naturel et construit. Elles se développent dans un jeu de gestes confrontés à des matériaux qui relient dessin, photographie, peinture et volume. » écrit Lydie qui par cette affirmation me confond maintenant devant son « Epicentre 1 », placé exactement face à la porte d’entrée. Cette encre sur papier s’ouvre sur le vide, mais contradictoirement me fait buter sur la fermeture d’une perspective. C’est une grille/store qui me conduit jusqu’à la barrière d’un mur pignon, coiffé du triangle traditionnel de sa structure, en accord et aussi en contradiction avec la diagonale de cette composition. Pourtant mon regard m’implique dans une contestation sensible de cet espace rigoureux, en y lisant paradoxalement l’exact déséquilibre qui heureusement me confond. Au sol, des ombres portées deviennent de tremblants supports qui naissent d’un monde végétal, repoussé par le trouble d’un surréaliste décor scénique. Cela confond mon imaginaire pour théâtraliser mon impression… après en avoir tiré le rideau.

« Dans cette diversité de formes, je cherche à provoquer une circulation du regard en impliquant physiquement le spectateur. » Une fois de plus j’aime me confondre en accord exact avec l’artiste, en circulant dans l’espace pour retrouver un grand dessin: « Epicentre 4 »  accroché sur le mur perpendiculaire à la façade. Une grande diagonale en flottaison m’éloigne de cette vitrine pour me faire naviguer sur la pâleur d’un ciel nuageux. Des structures architecturales de couleur ocre/vert et brun basculent, tout en étant tenues, ou contradictoirement, fragilisées par le dessin d’un grillage, qui n’est pourtant que le retour graphique de la virginité du support papier. Cette magistrale confusion finit exactement par s’envoler (où se raccrocher) aux mouvances des collines montagneuses qui jouent de déambulations en respirations de couleurs vert de gris. A moi d’avoir le souffle… coupé.

Me confondre exactement avec cette coupe de l’espace me place maintenant devant un grand dessin, confondant sa verticalité à celle du mur/panneau porteur. « Pilote II » inscrit au stylo bille une gestualité interne comme externe, qui répond à la fermeture et à l’ouverture des sculptures découvertes en vitrine. C’est un pilotage dans l’espace qui sait s’enrouler sur lui-même tout en enroulant le vide à découvrir, comme j’ai pu imaginer l’intérieur de ces céramiques tronquées par l’image photographique. Tout est pourtant blanc dans l’impossibilité de voir, mais net de tout rêve… à venir.

C’est alors, après avoir dépassé cette cloison porteuse, que j’imagine au dos de la première qui porte « Epicentre I » à la perspective fermée,  un autre « Pilote  » à venir que j’ose soupçonner de répondre à l’image qui lui tourne le dos. Lors de ma visite en atelier il n’était pas encore né, mais Lydie continue ses recherches qui impliquent « que les formes apparaissent progressivement, sans anticipation de résultat et en laissant une part de hasard. » Sans exactitude je suis confondu… à une réussite.

Tout en attendant avec envie l’impression d’une découverte à venir, je prévois l’alignement sur le mur du fond d’une série de dessins sur photos, confondus par le titre: « Le sommeil des moutons ». Une suite de paysages pierreux qui intègre des allusions à des figures humaines en attitudes sportives, complètement associées à cette accumulation minérale. Un « marcheur » semble naître du sol tout en se confondant paradoxalement encore avec le flou de la colline dont la voûte  sombre se creuse. Pourtant l’arrête s’éclaircit en suivant le bras de cette silhouette. Le dos s’assombrit mais ne se creuse pas, tout en affirmant un parallélisme tracé avec exactitude.

Au milieu d’une autre image, la partie inférieure de la silhouette joue le jeu d’un reflet dans un miroir marin, alors qu’il s’agit d’un terrain caillouteux. Ceci peut ainsi creuser le sol en accentuant sa profonde origine. Cette série, comme le signale l’artiste « pourrait s’apparenter à un jeu d’équilibre dans lequel les rapports entre formes, fonds, surfaces, juxtapositions et recouvrements, sont au service d’un lieu de coïncidence. » La dernière œuvre isolée des autres s’apparente à un combat gestuel, continuellement flou et difficile à définir. Il est intégré fondamentalement à la confusion nuageuse de cette montagne, pourtant très accidentée. Serait-elle en train de …. s’auto-combattre?

Maintenant mon parcours visuel tourne à angle droit sur le mur latéral qui me fait retrouver un carré avec « Epicentre 5 ». Encore une fois une diagonale construite exactement avec un mur blanchâtre, qui ose perdre quelques pierres qui s’envolent, navigue étonnamment en suspension au-dessus d’un ciel embrumé sans pourtant s’y confondre. Victor Hugo disait dans sa préface de « Odes et ballades » : « il faut bien se garder de confondre l’ordre et la régularité ». Cet ordre en envol m’invite à suivre ce chemin tracé en prairie, en direction de rochers très arides qui auraient pu être utilisés à l’origine de la carrière, lieu de naissance de ces pavés/pierres flottantes. Ces roches sont exactement confondues au tracé scandé de diagonales d’averses qui cisaillent le ciel en l’associant aux plantations situées à gauche. Sans confondre, je regarde à droite pour m’aligner sur des ratissages horizontaux.

Mon parcours dans cette exposition serait-il en surface… ou en profondes interrogations ?

Pour terminer cette visite en confondant  cette déambulation aux étapes de contemplation, j’aime suivre maintenant la série de petits  dessins baptisés: « Petits pilots » qui vont exactement confondre ordre et désordre au fond de leurs cadres/boîtes. Chaque fois le dessin est isolé sur le support, tout en me laissant deviner sa prise en compte de l’espace. Ce dernier tracé me conduit vers le point de départ de ma visite imaginaire. Elle ne peut se confondre avec l’exactitude d’une découverte d’un parcours inventif au cœur d’un lieu de création, investi par LYDIE REGNIER qui offre à tous le bonheur de SE CONFONDRE EXACTEMENT.

Bernard Point, février 2013

JEAN BONICHON

JEAN BONICHON
Un pas de côté

Exposition du 5 février au 2 mars 2013

Le Banc

Comme si je voulais construire une maison en commençant par les plans, les murs, le toit, la cave, les huisseries, l’aménagement, la déco et le jardin en même temps, je n’ai de cesse d’entamer des chantiers.Suivant la saison, les matériaux, le temps et l’espace, j’agence une forme plastique qui s’étire et revient sur elle même.Je me consacre à la construction et à la sculpture : trois briques pour caler ce mur, six tôles sur le toit, un chauffe-eau pour la baignoire… Et soudain mon esprit chercheur va divaguer pour trouver quelques concepts, quelques vidéos et photographies : optimiser la rampe d’entrée, gérer un dégât des eaux, trouver l’électroménager adéquat …C’est par peur de l’ennui que je reste à l’affût d’un neuf exaltant ou que je n’hésite pas à me replonger dans un ancien chantier délaissé un temps.Les choses roulent ou trébuchent dans toutes directions pour mieux s’entrechoquer.Aussi protéiformes que ma pratique, les sujets traités tournent finale-ment bien en rond : une logique propre poussée à l’extrême, un décalage empreint d’absurde, des combinai-sons incongrues, le goût pour les actions vaines et sincères, pléthore d’images poétiques chargées d’un trait d’esprit tordu forment les chemins qui mènent chez moi, to my home sweet home, ouverte aux quatre vents.Le corps dégingandé et l’esprit alerte marchent de concert : les mains réalisent soigneusement l’idée retournée, la voix se prête aux emballements sonores, les yeux scrutent des espaces en attente d’une proposition mélancolique, le cerveau éveillé par la mécanique des jambes cherche la petite Histoire.Entre archéologie et travail du bâtiment, je fouille et j’échafaude, une manière d’enterrer et de démolir pour mieux chercher et reconstruire.Il pleut dans ma cuisine et ma maison ne sera jamais fini.

la grande piscine

 
 

Tête de trogne

Tête de trogne